Que
règne la paix et l'amour parmi tous les êtres
de l'univers. OM Shanti, Shanti,
Shanti.
"Quand
la fleur éclôt les abeilles
affluent."
Ramakrishna
TÉMOIGNAGES RÉUNIS PAR RAM DASS
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N
1967,
je fis la connaissance de mon Guru. Cette rencontre
changea le cours de mon existence car il me permit
d'appréhender ma vie en termes
spirituels.
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Je
découvris chez lui de nouvelles perspectives
de compassion, d'amour, de sagesse, d'humour et de
puissance, et ses actes élargirent ma
compréhension des possibilités de
l'homme. Je reconnus en lui une alliance de
l'humain et du divin.
Après notre première rencontre, je
demeurai en Inde aussi près de lui qu'il me
fut permis. Je passai ainsi cinq mois avant de
revenir en Amérique avec son ashirbad
[bénédiction] pour
écrire un livre que, jusqu'avant mon
départ, je n'avais jamais envisagé de
faire. De retour en Occident, je rencontrai de
nombreuses âmes surs ouvertes et
prêtes à partager ce que j'avais
reçu ; et sa bénédiction ainsi
que leur soif donnèrent naissance à
Soyez ici maintenant.
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En 1970, je
revins en Inde et restai auprès de lui par
intermittence de février 1971 à mars
1972, date à laquelle mon visa expira et
où je fus expulsé du pays. Quoi qu'il
en soit, que je me trouve à ses
côtés ou séparé de lui,
il demeura la source et l'âme de mon
éveil spirituel.
Dès le début j'avais voulu le
partager avec d'autres, mais il commença par
m'interdire de lui amener directement des gens.
Néanmoins un nombre relativement restreint
d'Occidentaux [plusieurs centaines]
parvinrent à le rencontrer et furent
touchés aussi profondément que je
l'avais été. Il mourut le 11
septembre 1973 : comme disent les Indiens, il
quitta son corps.
Les années qui suivirent, je fus à
même de constater que la disparition de son
corps ne diminuait en rien son influence sur ma
vie. Bien au contraire, je sentais sans cesse
davantage sa présence, son soutien et son
aide, son amour et, à chaque fois que je me
prenais trop au sérieux, son rire cosmique.
Ceci me donna à penser que d'autres qui ne
l'avaient jamais "rencontré" dans son corps
pouvaient semblablement être touchés.
Cette impression a été
confirmée par un nombre étonnamment
important de gens qui, par l'intermédiaire
de livres, de conférences, d'enregistrements
et de contacts personnels avec certains de ses
disciples, ont affirmé avoir ressenti sa
présence d'une manière qui a embelli
leur vie.
Je parle de lui comme de mon "Guru" mais, en fait,
je ne pense jamais à lui ni à notre
relation avec autant d'emphase. Pour moi il est
tout simplement Maharajji ["grand roi"], un
surnom si courant en Inde qu'on entend souvent les
gens appeler ainsi les marchands qui, dans la rue,
proposent du thé aux passants.
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Ceux d'entre nous
qui ont connu Maharajji se retrouvent
fréquemment en Inde ou en Occident. La
conversation tourne invariablement au rappel des
souvenirs. Ceux-ci ne manquent pas d'affluer et
chaque histoire est ponctuée de silence, de
rires ou de remontrances tandis que nous savourons
sa profondeur et son élégance.
L'espace s'enrichit alors de l'esprit vivant et
nous savons qu'il est parmi nous.
Mes voyages m'ont fait rencontrer des milliers
d'êtres qui s'éveillent. Leur
ouverture de cur et d'esprit me donne envie
de leur rendre Maharajji plus proche par
l'intimité de témoignages directs. Et
pourtant n'ont paru pour l'heure que quelques
anecdotes, la plupart en rapport avec mon
expérience personnelle. Le présent
ouvrage a été entrepris afin de
mettre un terme à cette pénurie et de
combler un vide.
Immédiatement après sa mort je
confortai plusieurs Occidentaux dans leur intention
de parcourir l'Inde à la recherche de
témoignages. Ils parvinrent à
rassembler quelque quatre cents anecdotes mais
constatèrent, chez les dévots
indiens, une grande réticence à
évoquer leur maître. Celui-ci avait
toujours désapprouvé qu'on parle
beaucoup de lui et ils respectaient cette
volonté de discrétion. En 1976, deux
d'entre nous retournèrent en Inde. Nous
fûmes ravis de constater qu'un grand nombre
de disciples indiens qui, au fil des ans,
l'avaient forcément bien mieux connu que
nous étaient maintenant prêts
à partager librement leurs trésors.
Nous enregistrâmes alors mille deux cents
récits. Depuis, avec l'aide d'un autre
Occidental, nous avons recueilli quatre cents
nouveaux témoignages en Orient et en
Occident, ce qui a amené à plus de
deux mille le nombre total d'histoires, anecdotes
et extraits d'entretiens menés auprès
de plus de cent disciples.
Bien sûr, une centaine de dévots ne
représente qu'une infime fraction des
milliers de gens qui ont été
touchés par Maharajji et en gardent chacun
de merveilleux souvenirs, comme une pièce du
puzzle. Mais, par crainte de sombrer dans un tel
océan de souvenirs, je décidai
arbitrairement à un certain moment de mettre
un terme à la recherche et de commencer
à organiser ce que nous possédions
déjà.
Les disciples dont les histoires figurent dans ce
volume appartiennent à toutes les
catégories socio-culturelles. Les
récits d'importants fonctionnaires
interviewés dans leurs bureaux voisinent
avec les témoignages de balayeurs
rencontrés dans la rue. Dans des villages
des contreforts de l'Himalaya, nous avons
enregistré des conversations de femmes
accroupies autour d'un brasero de charbon pour se
réchauffer les mains en fin
d'après-midi. Nous avons
écouté des réminiscences dans
toutes sortes de cadres : salons, voie publique,
enceintes de temples, ou même autour d'un feu
à la belle étoile, à
côté d'une baignoire remplie d'eau
chaude, dans des voitures ou des avions, et
à l'occasion de longues promenades. Ces
histoires nous ont été
confiées par des prêtres hindous
tirant des bouffées de leurs chillums
[pipes à haschisch], par des
professeurs d'université, des fonctionnaires
de police, des paysans, des industriels, par des
enfants ainsi que par leurs mères
occupées à remuer le contenu
bouillonnant de leurs marmites posées
au-dessus de feu de bois et de charbon. Le partage
de souvenirs aussi précieux qu'intimes
s'accompagnait toujours d'un sentiment de joie
mêlée de timidité. Ces
réunions où l'on se retrouvait pour
parler de lui étaient empreintes d'une
grâce ineffable.
Une fois ces témoignages rassemblés,
la question fut de savoir comment présenter
un ensemble aussi considérable. J'ai
passé trois ans à considérer
le problème, à écrire et
à rédiger de nouveau. Ma
première tentative ressemblait davantage
à une chronologie personnelle, mais je me
rendis compte qu'une telle structure aurait du mal
à intégrer tout le matériau
dont je disposais, sans compter qu'il aurait fallu
y loger une quantité
d'éléments qui n'avaient rien
à voir avec mon existence. Je repartis donc
de zéro en me contentant, cette fois,
d'ajouter mes propres expériences à
la masse des récits et de regrouper les
histoires retenues sous différentes
rubriques, ce qui aboutit à la
présente compilation.
Ces histoires, anecdotes et extraits d'entretiens
constituent une mosaïque qui permet de
retrouver Maharajji. Pour retenir ces pièces
rapportées, j'ai utilisé le minimum
absolu de ciment conjonctif et
préféré presque toujours
omettre mon optique et mes interprétations
personnelles.
Mais ce choix de partager avec vous le
matériau dans sa forme la plus pure mettra
votre motivation à l'épreuve, car
j'ai retiré à dessein les
commentaires aguicheurs habituels destinés
à inciter le lecteur à aller de
l'avant. Je n'ai pas voulu manipuler votre
désir de découvrir des choses sur
Maharajji ; en fait, j'ai simplement
souhaité vous fournir tout ce dont je
disposais. Comme vous le constaterez, Maharajji
exigeait que nous fassions tous un effort
considérable pour profiter de son darshan
[rencontre spirituelle et, plus
précisément, vision de l'être
qui a réalisé l'identité
suprême avec l'Absolu], de
l'expérience de sa présence. J'estime
qu'il est dans l'esprit de son enseignement
d'exiger que les lecteurs fassent un effort
semblable, un "bon" effort ou effort "réel"
[au sens ou l'entendaient Bouddha dans
l'octuple sentier ainsi que Georges
Gurdjieff].
Donc, si vous approchez cet ouvrage avec le
désir de le rencontrer et de recevoir son
darshan d'une façon qui pourrait aussi
considérablement modifier votre vie que la
nôtre, alors vous éprouverez le besoin
de travailler lentement avec ce livre et en
profondeur. Je puis seulement vous assurer
qu'à mon avis chaque histoire est porteuse
d'enseignement et mérite réflexion.
Vous ne voudrez pas non plus d'ailleurs vous
ne le pourrez pas lire ce livre d'une seule
traite ou même en deux ou trois fois.
Plutôt, tels une eau-de-vie de
qualité, ces souvenirs doivent se
déguster à petites gorgées
afin que tout leur goût et leur arôme
pénètrent au plus profond votre
esprit et votre cur. Et n'oubliez pas
d'écouter le silence qui nimbe ces
histoires, car la véritable rencontre avec
Maharajji se situe entre les lignes et
derrière les mots. Vous serez amplement
récompensés de vos efforts car il
vous sera alors donné d'approcher un
être d'une stature spirituelle rarement
rencontrée sur cette terre.
Il est difficile de séparer Maharajji et son
enseignement du milieu naturel dans lequel je l'ai
connu. Dans sa plus vaste dimension, Maharajji
englobe pour moi l'Inde et les magnifiques
montagnes du Kumâon* ainsi que le Gange,
l'ensemble de ses disciples avec toute leur
tendresse et leurs chamailleries, mais aussi ses
temples et ses portraits photographiques. Son
enseignement comprend l'amour de la
Terre-Mère que j'ai goûté pour
la première fois dans les village indiens
et, tout autant, ma dysenterie et les bagarres pour
les visas, les vaches sacrées et les courses
en pousse-pousse, les marchés grouillant de
monde et les promenades voilées de brume en
pleine jungle. Et pourtant, si la pièce qui
consistait à être auprès de lui
se jouait sur la riche scène de l'Inde, le
décor fourni n'était jamais qu'un
réservoir d'accessoires et
d'expériences nécessaires à la
manifestation de l'enseignement. Lui-même
n'avait pas l'air particulièrement indien,
pas plus oriental qu'occidental. Même si nous
le rencontrions dans des temples hindous, il ne
donnait pas l'impression d'être plus hindou
que bouddhiste ou chrétien.
Il se servait des moindres éléments
de nos vies vêtements, nourriture,
sommeil ; peurs, doutes, aspirations ; familles,
mariages ; maladies, naissances et morts
pour nous apprendre à vivre dans l'esprit.
Il déclenchait ainsi un processus qui allait
continuer à nous faire travailler à
partir des données de l'existence même
quand nous n'étions plus avec lui. Cela
explique au moins en partie la permanence de son
enseignement dont nous avons tous été
témoins depuis sa mort.
J'espère que l'approfondissement de ces
témoignages va vous permettre d'harmoniser
vos perceptions, de vous accorder avec Maharajji et
d'entamer avec lui un dialogue au moyen des
événements de votre propre quotidien.
Un tel dialogue mené au jour le jour au plus
profond du cur constitue une remarquable
forme d'alchimie susceptible, grâce à
l'amour, de changer la matière en
esprit.
C'est ainsi que j'ai gardé le contact avec
Maharajji et il me tarde de vous raconter...
Ram Dass, Soquel, Californie, mars
1979
* Kumâon. Région de
l'Himalaya de l'Inde, dans le nord de l'Uttar
Pradesh, entre la frontière népalaise
et la haute Yamuna. Il possède quelques
très hauts sommets : le Kamet, le Trisul et
surtout le Nanda Devi. Plusieurs endroits
sacrés, dont les sources du Gange, attirent
de nombreux pèlerins. Les Anglais y
établirent des stations d'été
Mussoorie [Masuri], Naini Tal,
Almora, Ranikhet dont il est très
souvent question dans ces témoignages.
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PRÉFACE
À LA TROISIÈME
ÉDITION
Cela fait
maintenant vingt-deux ans que Maharajji a
quitté son corps. J'ai été
avec lui de façon sporadique de la fin de
l'année 1967 au début de 1972 et,
même alors, fort rarement. C'est pourtant la
personne qui compte le plus pour moi et la relation
que j'ai avec lui continue à nourrir chaque
moment présent.
Mais, en l'occurrence, "relation" est un terme trop
restrictif. Au début, j'ai rencontré
un homme enveloppé dans une couverture qui
lisait dans mes pensées ainsi que dans mon
cur. Les quelques années où je
l'ai côtoyé, j'ai vécu avec lui
une quantité d'expériences dont je ne
me rappelle qu'un nombre restreint.
Il fut un temps où je tentai d'en faire une
liste et de consigner ses paroles par écrit.
J'en avais noté environ quatre cent
cinquante sur plusieurs petites feuilles de papier.
Mais un jour, durant mon séjour au temple,
juste après le déjeuner, je
pénétrai dans ma chambre au moment
précis où un grand corbeau, qui
s'était glissé entre les barreaux
destinés à empêcher les singes
d'entrer, s'envolait avec l'une des feuilles en
question, laquelle contenait peut-être un
cinquième de mes notes. Elles étaient
parties et, avec elles, la motivation d'en
recueillir davantage. Je vis alors à quel
point ma manie de collectionner les choses m'avait
toujours tenu à distance de
l'immédiateté du vécu. J'avais
justifié cette propension à tout
vouloir coucher par écrit en me disant que
ça me permettrait d'y repenser plus tard.
À cet instant, je saisis que la leçon
de Maharajji ne concernerait pas des choses
superficielles susceptibles d'être
notées sous forme de concepts, mais
constituerait plutôt un changement dans
l'essence de mon être. Et qu'il me faudrait
apprendre à m'ouvrir à ma propre
sagesse essentielle et non plus amasser celle-ci
au-dehors de moi-même comme connaissance.
Et c'est bien ce qui a eu lieu. Ce qui s'est
passé entre Maharajji et moi pendant ces
vingt-deux dernières années où
il a disparu du plan physique est l'histoire au
jour le jour des étapes d'une
transformation. Tout d'abord, j'ai disposé
des images et des anecdotes. J'ai raconté
ces histoires des centaines sinon des milliers de
fois afin de les partager avec d'autres, mais aussi
pour me rappeler, de façon à pouvoir
baigner dans la sagesse secrète de chacun de
ces récits. Puis Miracle de l'Amour parut en
1979. À la sortie du livre, j'eus le
sentiment d'avoir mené une tâche
à bien, mais aussi la conviction qu'en ne
m'occupant plus des histoires j'allais approfondir
ma connaissance de Maharajji d'une autre
façon.
Les anecdotes et les histoires mettent l'accent sur
certains aspects de sa personne : compassion,
friponnerie, néant, sagesse, bonté,
humour, dévotion, véhémence,
amour, etc. À présent, les histoires
proprement dites donnaient l'impression
d'être supplantées par ses
qualités distinctives elles-mêmes. Je
retrouvais Maharajji non plus à travers les
péripéties d'un récit
particulier, mais plutôt en vivant au
tréfonds, à proprement parler, sa
manière d'être. Dans un accès
d'humour je l'entendais éclater de rire
à ma gauche ; je ressentais sa
véhémence dans mon dos ; et le vide
de son néant, semblable à un mort
vivant, sur mon épaule. L'expérience
ainsi vécue était amalgame subtil de
toutes les histoires et images dont je conservais
ou non le souvenir, mais que j'éprouvais
désormais comme une essence obtenue par
distillation de l'ensemble.
À chaque fois que j'éprouvais
l'intimité de la présence de
Maharajji en me trouvant plongé dans l'un de
ces aspects de sa personne, cela me conduisait
immanquablement à percevoir la
réalité relative dans laquelle je
vivais d'une façon toute nouvelle, comme
filtrée par le trait caractéristique
en question. Cette étape dure maintenant
depuis au moins huit ou dix ans, au cours desquels
j'ai appris à imprégner sans cesse
davantage mon quotidien de chacune de ses
nombreuses richesses.
Ces toutes dernières années s'est
manifesté par intermittence un autre type de
relation entre Maharajji et moi. J'ai le sentiment
que nous nous retrouvons de plus en plus dans un
état de néant de vigilance
silencieuse indifférenciée. C'est un
type d'intimité né d'avoir
transcendé toutes les distinctions, y
compris celle qui sépare soi-même de
l'autre. Tous ses traits distinctifs sont
présents, mais pas forcément
manifestes. À ces moments précieux on
retient son souffle devant l'immensité
qui est avant tout simplicité
de ce que cela est. Ce n'est pas comme si
j'étais lui, ou comme s'il me
possédait. On dirait plutôt que nous
avons été absorbés tous les
deux dans le substrat qui est... dans la
Déesse, dans l'Aimée. Il s'agit d'une
intégration dans laquelle créateur et
créature sont uns. C'est l'Amour.
Je vous confie cela afin de vous montrer que les
témoignages et extraits de récits
réunis dans ce volume s'inscrivent dans le
cadre d'une démarche connue en Orient sous
le nom de Guru kripta, ou "voie de la Grâce
du Guru". Celle-ci ne signifie pas que le
véritable Guru vous fasse quoi que ce soit.
Il s'agit plutôt d'une voie dans laquelle la
simple ouverture à l'existence d'un
être de cette stature vous permet
d'appréhender votre vie comme Grâce.
Le Guru figure une porte au-delà de laquelle
on saisit une vision de la Vérité qui
vous attire à elle. On peut dire aussi que
le Guru représente un miroir dans lequel
vous voyez un endroit où vous n'êtes
pas.
De tous les livres auxquels j'ai participé,
c'est cet ouvrage qui s'est le moins vendu et c'est
pourtant celui qui a eu le plus grand impact. Car
la seule lecture de ces récits d'un
cur réceptif a permis à une
quantité incroyable de gens d'entreprendre
ce voyage du darshan du Guru ; ils ont
goûté sa présence. Et alors ils
vivent à leur tour ce qui m'est
arrivé et voient leurs existences
transformées par ce lien du cur.
On me demande souvent s'il est indispensable
d'avoir un Guru en chair et en os. Si j'estime
qu'il est des plus bénéfiques de
rencontrer un être pareil dans son corps, la
façon dont cet ouvrage a touché les
gens me montre que ce n'est pas absolument
nécessaire. Il ne fait pas de doute dans mon
esprit que nombre de ceux qui ont rencontré
Maharajji par le seul moyen de cassettes ou de
livres le connaissent à présent aussi
intimement que moi ou que tous ceux qui ont pu le
côtoyer en Inde.
En fin de compte, la preuve indubitable de notre
liaison avec lui est cette transformation qui
modifie nos vies en un amalgame des multiples
qualités que son être manifestait.
Ainsi soit-il !
Ram
Dass, San Anselmo, Californie, mars 1995
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REMERCIEMENTS
Ce volume
présente une sélection tirée
de plus de deux mille témoignages sur
Maharajji rassemblés pendant cinq ans
auprès de plus de cent disciples. Je tiens
à assurer ces hommes et ces femmes, qui
m'ont fait l'honneur de partager leurs
précieux souvenirs, de tout mon amour et de
toute ma reconnaissance. Certains d'entre eux
pensaient qu'on ne pourrait et ne devrait jamais
écrire de livre sur un être aux dons
aussi immenses, immatériels et subtils que
Maharajji, et ils n'en ont pas moins accepté
d'offrir leurs histoires. Je leur sais gré
de leur bonté et, dans mon ardent
désir de faire partager des
expériences personnelles à d'autres
qui n'ont pas eu la chance de rencontrer Maharajji,
j'espère ne pas avoir fait mauvais usage de
cette confiance qu'ils m'ont manifestée.
Certains m'assurent que les faits rapportés
par d'autres ne sont pas exacts. Je n'ai pas les
moyens de vérifier l'authenticité de
ces récits. Je puis seulement affirmer que
ceux d'entre nous qui ont recueilli ces histoires
ont été impressionnés par la
crédibilité de ceux d'entre nous qui
les racontaient.
Bien que je sois seul responsable du manuscrit sous
sa forme actuelle, je tiens à remercier
chaleureusement ici nombre d'amis pour leur aide
précieuse :
1. En tout premier lieu Anjani qui m'offrit quatre
mois de son temps. Elle se démena alors sans
compter à un moment où ma confiance
dans ce projet battait de l'aile. Ce manuscrit a
bénéficié de son amour pour
Maharajji de multiples façons.
2. K. K. Sah m'a envoyé d'épaisses
missives d'Inde. Page par page, et parfois ligne
par ligne, ses suggestions m'ont permis
d'améliorer le manuscrit et d'éviter
d'embarrassantes erreurs culturelles. Son
dévouement et ses efforts admirables m'ont
été des plus utiles.
3. Chaitanya a aidé à recueillir des
témoignages, d'abord seul en 1973, puis une
deuxième fois, en ma compagnie, en 1976, au
cours d'une tournée de l'Inde riche en
événements. Il travailla à une
première mouture du manuscrit et voulut bien
m'autoriser à reproduire son poème :
Subtile est la Voie de l'Amour.
4. Saraswati [Rosalie Ransom] a parcouru
l'Inde et les États-Unis,
magnétophone en bandoulière, pour
enrichir considérablement notre stock de
témoignages.
5. Balaram Das, Krishna Dass [Roy Bonney],
Rameshwar Das, Chaitanya et Pyari Lal Sah ont bien
voulu nous communiquer quelques pièces rares
de leurs trésors photographiques.
6. Lilian, Sandy et Jyot ont tapé le
manuscrit à la machine avec un amour qui ne
s'est jamais démenti.
7. Aux premières étapes de
l'entreprise, Ram Dev, Subrahmanyum et Girija,
Krishna, Mira et Soma Krishna fournirent des
conseils avisés.
8. Bill Whitehead [responsable de
l'édition originale en livre de poche chez
Dutton] prépara l'ouvrage dans une
double optique. Tout en tenant compte du grand
amour des dévots de Maharajji pour leur
Guru, il n'oublia jamais le point de vue du lecteur
qui allait entendre parler de lui pour la
première fois. Trois années durant,
il sut garder son calme devant les changements
successifs qui me semblaient
décrétés par des forces
supérieures, mais devaient ressembler pour
lui aux invraisemblables agissements d'un auteur
névrosé de plus.
Ce livre constitue la troisième
édition de Miracle de l'Amour. Parce
que nous chérissons tellement cet ouvrage,
la Fondation Hanumân a choisi d'en
récupérer les droits auprès du
premier éditeur afin de préparer ce
volume. Nous avons le sentiment que cette nouvelle
présentation, agrémentée de
nombreuses photographies inédites, est plus
à même d'honorer Neem Karoli Baba.
Ce remodelage de l'ensemble a été
réalisé avec le plus grand soin par
Jai Lakshman, assisté, pour la partie
édition proprement dite, de Parvati
Markus.
Je suis certain que bien des disciples de Maharajji
ne retrouveront pas dans ces pages le maître
qu'ils connaissent dans leur cur. Je ne puis
qu'implorer leur tolérance car ce livre
s'adresse à ceux qui n'ont jamais
rencontré Maharajji. Pour ceux qui l'ont
connu, il n'est besoin d'aucun ouvrage.
J'ai vécu des moments où l'audace
d'une telle entreprise m'accablait presque.
Toutefois, sachant comment procède
Maharajji, j'ai poursuivi ma tâche,
persuadé que tout ce qui touchait à
ce livre ne pouvait advenir qu'avec sa
bénédiction.
|
haut
de la page
1. ...LES
ABEILLES
AFFLUENT
|
Un
instant près du Bien-Aimé et le fleuve modifie
son cours.
Les témoignages sont présentés en
italique.
|
|
OUS
nous
retrouvions aux pieds de Maharajji, poussés
par le désir ardent de connaître
l'esprit vivant et attirés par sa
lumière. Nous venions d'Europe et de
Grande-Bretagne, des États-Unis et du
Canada, d'Australie et d'Amérique du
Sud.
|
Comme disait
Herman Hesse de ses compagnons de route dans son
Voyage en Orient, chacun, ou chacune, avait
ses raisons personnelles d'entreprendre pareille
aventure, mais nous avions tous un but commun. Nous
débarquions avec notre lot de cynisme et de
foi, de cordialité ou de froideur, de
sensualité ou d'ascétisme,
d'arrogance intellectuelle ou d'humilité.
Maharajji s'adaptait toujours et réagissait
comme il convient. Il se montrait féroce ou
tendre, ne nous prêtait aucune attention et
nous renvoyait parfois ou, alors, nous manifestait
plein d'égards. Il lisait dans les
pensées et dans les curs ou bien il
jouait les idiots. Il faisait ce qui était
nécessaire pour apaiser l'esprit et ouvrir
le cur de façon à
étancher la soif qui nous avait tous
amenés à lui.
|
Je
voyageais en Inde avec un autre jeune Occidental.
Nous étions arrivés dans les
montagnes à bord d'une Land Rover
empruntée à un ami afin de trouver le
Guru de mon compagnon. Celui-ci pensait que son
maître l'aiderait à résoudre
son problème de visa. J'étais de
mauvaise humeur. J'avais fumé trop de
haschisch, j'étais en Inde depuis "trop
longtemps" et, de toute façon, je n'avais
nulle envie de rendre visite à un Guru.
[Le passage suivant est adapté du
livre intitulé Soyez ici
maintenant.]
Nous nous sommes arrêtés à
ce temple et il a demandé où se
trouvait le Guru. Les Indiens qui s'étaient
rassemblés autour de la voiture
indiquèrent une colline proche. Il sortit
aussitôt du véhicule et partit
à toutes jambes. Les autres le suivirent,
ravis de pouvoir bientôt revoir le Guru.
À mon tour je mis pied à terre.
À présent j'étais d'humeur
encore plus massacrante parce que personne ne
faisait attention à moi. Je me
précipitai à leur suite, pieds nus,
sur le chemin rocailleux où je
trébuchai sans cesse. De toute façon
je ne voulais pas voir le Guru, et puis, à
quoi tout cela rimait-il ?
À un détour du chemin je me trouvai
à l'entrée d'un champ surplombant une
vallée et dans ce champ, sous un arbre, se
tenait assis un homme de soixante ou soixante-dix
ans, enveloppé dans une couverture. Il
était entouré de huit ou neuf
Indiens. Je fus frappé de la beauté
du tableau le groupe, les nuages, la
vallée verte, la grande clarté des
contreforts de l'Himalaya.
|
|
Mon compagnon
de voyage se précipita vers cet homme et se
jeta à ses pieds, se prosternant de tout son
long. Il pleurait et l'homme lui caressait la
tête. J'étais de plus en plus
déconcerté.
Debout à l'écart, je me disais : "Je
ne vais pas lui toucher les pieds. Je ne suis pas
forcé de le faire. Ce n'est pas une
obligation." De temps à autre l'homme levait
la tête et me considérait d'un air
malicieux. Ses coups d'il ne faisaient
qu'accroître mon malaise.
Puis il posa les yeux sur moi et se mit à
parler en hindi, langue dont je ne connaissais que
des bribes. Cependant, un autre homme traduisait.
J'entendis celui-ci demander à mon ami :
"Vous avez une photo de Maharajji ?"
Mon ami acquiesça d'un hochement de la
tête.
"Donne-la lui", fit l'homme à la couverture,
me montrant du doigt.
Je me dis alors : "C'est très gentil de sa
part de m'offrir son portrait", et je souris et
hochai la tête en signe de remerciement. Mais
je n'étais toujours pas disposé
à lui toucher les pieds.
Il s'adressa à moi : "Tu es venu dans une
grande voiture ?"
"C'est
exact." [Pour commencer, je n'avais pas
souhaité emprunter la Land Rover.
C'était trop de responsabilité et
cette voiture était pour moi une source
d'irritation.]
Il me regarda en souriant et me demanda : "Tu veux
bien me la donner ?"
J'amorçai une réponse : "C'est
à dire...", quand mon ami, toujours
allongé à même le sol, releva
la tête pour affirmer tout de go :
"Maharajji, si vous la voulez vous pouvez la
prendre. Elle est à vous."
Je réagis aussitôt : "Eh, pas si vite.
Tu ne peux pas donner la voiture de David comme
ça." Le vieil homme riait.
En fait tout le monde riait, sauf moi.
Ensuite il voulut savoir si j'avais gagné
beaucoup d'argent en Amérique.
Je passai rapidement en revue toutes mes
années de professeur et de contrebandier et
répondis fièrement par
l'affirmative.
"Combien tu t'es fait ?
Eh bien je gonflai un peu les
chiffres pour plastronner il m'est
arrivé d'atteindre vingt-cinq mille
dollars."
Le groupe convertit la somme en roupies et tout le
monde fut impressionné par un montant
pareil. Mais, bien sûr, tout cela
n'était qu'esbroufe de ma part. Je n'avais
jamais gagné vingt-cinq mille dollars. Et il
rit de plus belle avant de me lancer : "Tu
m'achèteras une voiture pareille ?"
Je me rappelle ce qui me traversa alors l'esprit.
Je venais d'une famille juive experte en
transactions de toutes sortes et, pourtant, je
n'avais jamais vu une requête aussi rondement
présentée. "Il ne sait même pas
comment je m'appelle et il veut déjà
que je lui cède un véhicule de sept
mille dollars."
"Eh bien, peut-être..." lui dis-je. Cette
histoire commençait à me contrarier
au plus haut point.
Il s'adressa alors à ceux qui l'entouraient
: "Emmenez-les et donnez-leur à manger."
Nous fûmes nourris comme des princes,
après quoi on nous conseilla de nous
reposer. Un peu plus tard, nous retrouvâmes
Maharajji qui me pria de m'asseoir. Je m'installai
face à lui. En me regardant il me dit : "Tu
es sorti regarder les étoiles hier soir."
[Ceci est bien sûr la traduction anglaise
de ses paroles.]
"Euh... hum !
Tu pensais à ta mère.
Oui. [La veille au soir, à
quelques centaines de kilomètres de
là, j'étais sorti pendant la nuit
pour aller aux toilettes. Les étoiles
étincelaient et je m'étais
attardé dehors, retenu par un sentiment
d'intimité avec le cosmos. J'avais alors
ressenti la présence de ma mère,
disparue neuf mois plus tôt à la suite
d'une maladie de la rate. Je n'avais parlé
à personne de ce moment
particulièrement intense.]
Elle est morte l'an dernier.
Euh... hum !
Son ventre a beaucoup enflé avant la
fin."
Il y eut une pause.
"Oui."
Il se laissa aller en arrière, ferma les
yeux et précisa [en anglais] : "La
rate, elle est morte de la rate."
Je ne saurais dire au juste ce qui m'arriva
à cet instant précis. Il me
considéra d'un drôle d'air et alors
deux choses survinrent. Elles ne me firent pas
l'effet de se succéder comme la cause et
l'effet mais plutôt parurent se produire
simultanément.
Mon esprit se mit à fonctionner à
cent à l'heure pour essayer de trouver un
repère et tâcher de comprendre ce que
cet homme venait de me faire vivre. Je fis ma plus
belle crise de paranoïa, comme si j'avais eu
toute la CIA à mes trousses. Les questions
affluaient dans ma tête : "Qui est cet homme
? Pour qui travaille-t-il ? Quel bouton
actionne-t-il pour avoir ainsi accès
à mon dossier personnel ? Pourquoi m'a-t-on
conduit ici ?" Mais aucune de ces supputations
n'avait de consistance.
Il était absolument impossible que les
choses aient pu se dérouler ainsi. Mon
compagnon de voyage ignorait tout de ce que venait
de me raconter Maharajji et, de plus,
j'étais un touriste en voiture aux
itinéraires imprévisibles. Le
phénomène était tout bonnement
inexplicable. Mon esprit s'emballait.
Jusqu'à ce jour, j'avais deux types
d'attitudes vis-à-vis des expériences
métapsychiques. D'abord une approche du
genre "sciences humaines" : "Eh bien, c'est
arrivé à untel ; c'est très
intéressant et nous devons certainement
rester ouverts et ne pas nous fermer à ce
genre de choses." Il m'arrivait aussi de
réagir très différemment :
"Ecoutez, je me suis défoncé au
L.S.D. Qui sait comment c'est vraiment ?"
Après tout, sous l'influence de produits
chimiques, il m'était arrivé de
créer des mondes et des environnements
entièrement inédits.
Mais, en l'occurrence, aucune de ces
catégories n'était satisfaisante et,
alors que mon esprit tournait à un
régime toujours plus élevé,
j'avais le sentiment d'être un ordinateur
chargé de résoudre un problème
insoluble ; la sonnette retentit, le voyant rouge
s'allume et la machine s'arrête. Tout
simplement mon cerveau renonça. Il avait
fait sauter tous ses circuits et consumé mon
empressement à vouloir obtenir une
explication. J'avais cherché quelque chose
de définitif au niveau de la raison, en pure
perte.
Au même moment j'éprouvai une douleur
insoutenable dans la poitrine, accompagnée
d'une sensation de gigantesque déchirement,
et je fondis en larmes. Je pleurai sans pouvoir
m'arrêter, mais je n'étais ni triste
ni heureux. C'était un
phénomène pour moi inconnu. La seule
chose que j'aurais pu dire de ce qui m'arrivait
c'est que j'avais le sentiment d'avoir
achevé quelque chose et de toucher au port.
Le voyage était terminé.
J'étais rendu à la maison.
[R.D.] [La mention
[R.D.] signale les histoires qui concernent
Ram Dass.]
Pour citer
Dada : "Nous pensons tous poursuivre le Guru, mais
en fait, voyez-vous, c'est lui qui est à nos
trousses."
Tout ce que je savais de la terrible situation de
l'Inde m'avait convaincu de ne jamais mettre les
pieds dans ce pays. Pourtant, en octobre 1971, je
me trouvais à l'aéroport J. F.
Kennedy en compagnie de deux amies, prête
à embarquer dans un avion à
destination de Bombay. Une grande partie de notre
groupe de "spiritualistes" new-yorkais était
venue nous accompagner ou, comme je le
soupçonnais, peut-être s'assurer que
nous allions effectivement monter à bord.
Nous nous demandions bien ce que nous étions
en train de faire et nous étions toutes
trois, à des degrés divers, prises de
panique. L'affolement et la confusion allaient
s'intensifier au centuple quand nous allions
effectivement nous trouver en Inde.
Comme presque tous les membres du groupe
d'Occidentaux qui gravitaient autour de Maharajji,
nous avions entendu parler de lui pour la
première fois par Ram Dass. Pourtant,
même si ma vie avait changé du tout au
tout après la soirée où
j'avais assisté à sa
conférence, je ne me sentais pas
attirée par l'Inde. À
l'époque, ce pays était nimbé
pour moi d'une telle aura sacrée que je
n'envisageais même pas de m'y rendre. Et je
n'avais pas saisi que l'éveil qu'il m'avait
été donné de vivre constituait
en fait un premier contact avec Maharajji. Il ne
m'était pas venu à l'esprit que
celui-ci pouvait être mon Guru. Nous avions
tous entendu dire à quel point il
était difficile de le rencontrer. Et s'il me
renvoyait comme il l'avait fait avec d'autres ?
À présent, trois ans plus tard, je
partais pour l'Inde mais je n'avais toujours pas
l'audace d'oser affronter un rejet de sa part. Je
partais voir des saints dans l'Inde du Sud avant de
visiter, peut-être plus tard, le Nord si
toutefois pointait quelque espoir d'être
accepté.
À la descente de l'avion à Bombay
nous attendait un représentant d'une
compagnie aérienne
[événement qui tient
déjà du prodige en Inde], lequel
nous apprit que nous avions des réservations
pour un vol sur Delhi dans l'après-midi et
que des billets nous attendaient au guichet. La
chose était stupéfiante mais, au bout
de vingt-six ou vingt-huit heures d'avion, nous
étions trop hébétées
pour éprouver plus qu'un léger
étonnement. Après tout, nous
étions en Inde où tout pouvait
arriver. [Ce mystère des billets et des
réservations pour Delhi ne put jamais
être élucidé de façon
"raisonnable".] Une fois dans la capitale, nous
envisageâmes d'aller nous enquérir de
messages au bureau de l'American Express comme nous
avions pensé le faire à Bombay.
Après tout, puisque nous étions ici,
il devait bien y avoir un message. Et, en effet,
une missive nous attendait. "Allez à
Jaipuria Bhavan dans la ville de Vrindaban.
Maharajji ne va pas tarder. C'était
signé "Balaram Das", nom qui ne nous disait
rien.
On nous apprit que Vrindaban n'était pas
loin de Delhi et qu'il était possible de s'y
rendre dans l'après-midi. Sans trop savoir
pourquoi, nous ne nous attardâmes pas dans
l'ambiance relativement occidentale de Delhi. Le
message nous demandait de partir, ce que nous
fîmes sur-le-champ. C'est ainsi que nous fut
donnée notre première grande
leçon : en Inde, ne jamais voyager en wagon
de troisième classe où il n'y a pas
de places réservées ! Ce fut
l'équivalent d'une équipée de
trois heures dans un métro new-yorkais
à l'heure de pointe avec, en prime, le
soleil, la poussière et la fumée de
la locomotive qui s'engouffrait par les
fenêtres ouvertes.
En fin de compte, nous parvînmes
péniblement à nous extraire du train
à Mathura et, dans le crépuscule
rougeoyant de la plaine indienne dont nous
n'étions pas alors en mesure
d'apprécier la beauté, nous
trouvâmes un car qui nous conduisit à
Vrindaban tout proche. Une fois à
destination, on nous débarqua dans le grand
bazar d'un village qui, selon toute vraisemblance,
datait du XIII e siècle, avec un lacis de
ruelles tortueuses grouillant d'êtres
humains, de pousse-pousse, de chiens, de cochons et
de vaches. Le soir tombait et l'éclairage
était fourni presque exclusivement par les
lanternes allumées à
l'intérieur des magasins qui bordaient les
rues. Nous demandâmes le chemin de "Jaipuria
Bhavan" dans notre hindi de pacotille et on nous
indiqua une petite rue, puis une autre. Le temps
passait et les magasins commençaient
à fermer. Notre panique augmentait en
proportion de notre épuisement et de notre
faim car, même si nous trouvions la pension,
nous ne la reconnaîtrions pas étant
donné que tout était écrit en
hindi. Nous nous voyions déjà passer
la nuit couchées en chien de fusil dans un
recoin de porte en compagnie des vaches.
Et puis soudain, marchant dans notre direction,
apparut un Occidental que j'avais rencontré
l'année précédente en
Californie. Incapable de maîtriser mon
émotion, je le serrai dans mes bras, mais
lui, en vieil habitué de l'Inde, demeura
imperturbable. Oh oui ! Jaipura Bhavan était
là, tout près, au coin de la rue.
Les jours suivants, le petit satsang
[communauté de chercheurs
spirituels] d'Occidentaux commença
à se rassembler à Jaipuria Bhavan, en
attendant l'arrivée de Maharajji à
son ashram de Vrindaban. Nous en avions
rencontré bon nombre en Amérique, y
compris le mystérieux "Balaram Das" que nous
connaissions sous le nom de Peter. Nous
écoutions les histoires que racontaient les
uns et les autres avec un mélange de
soulagement et d'expectative. Après tout,
Maharajji ne donnait pas l'impression d'être
si féroce et terrifiant que ça. Et
puis on nous annonça qu'il était
là ! Le lendemain matin, nous pourrions
aller recevoir son darshan.
J'arrivai à l'ashram un peu en retard en
compagnie de Radha. D'une main crispée,
j'agrippais le bord du sari que j'avais
emprunté et, de l'autre, le sac de fleurs et
de fruits que j'avais apporté en offrande.
Après avoir fait le tour du temple et
honoré Hanumânji [appellation
familière de Hanuman, Dieu
représenté avec un corps de
singe] d'un profond salut, nous
approchâmes d'une porte ménagée
dans le mur entre le jardin du temple et l'ashram.
Comme je me souviens bien de cette porte verte en
bois ! Quand nous eûmes frappé, le
vieux chaukidar [gardien]
l'entrebâilla et nous dévisagea d'un
air scrutateur. Je me demandai bien s'il nous
laisserait entrer et, le temps de mon séjour
en Inde, cette appréhension accompagnerait
chacune de mes visites. Mais il recula d'un pas et
nous livra passage. Je découvris la longue
véranda bâtie sur le devant du
bâtiment de l'ashram et, par la vitre, tout
au bout, j'aperçus Maharajji assis sur son
lit de bois. Il était seul. Je fus si
impressionnée par son imposante
présence que mon cur bondit et que je
me pris le pied dans le bas de la porte. Cette
vision initiale est restée gravée au
scalpel dans mon souvenir.
Radha s'était déjà
précipitée et je la suivis en
courant, perdant mes sandales dans l'aventure. Tout
se passa fort simplement et de façon
très familière. Après l'avoir
salué en nous inclinant à ses pieds,
nous lui présentâmes les fruits et les
fleurs [qu'il me rendit aussitôt en les
jetant sur mes genoux]. Nous pleurions et
riions à la fois. Tout sourire, Maharajji ne
se tenait plus de joie. Il chantait en anglais :
"Mère d'Amérique ! Mère
d'Amérique !" Pendant ce premier darshan,
Maharajji s'exprima surtout en hindi mais je le
compris parfaitement sans que l'interprète,
debout tout près, eût à
intervenir. Et je reconnus l'amour que j'avais vu
couler à travers Ram Dass et qui m'avait
irrésistiblement conduite en Inde : je me
trouvais devant la source.
Si tout le
monde se montrait impatient et surexcité,
cette visite me laissait plutôt
indifférent. Je fus pourtant le premier
à descendre du car et je me vis partir en
courant et m'engouffrer immédiatement
à l'intérieur du temple. Je
n'étais jamais venu ici mais j'avais
l'impression de connaître le chemin
compliqué qui menait à l'endroit
où il se tenait. Comme je débouchais
du dernier tournant, Maharajji se mit à
faire des bonds et à déverser un
torrent de mots hindis qui me laissa
complètement ahuri. Je m'approchai et
m'inclinai à ses pieds.
Il commença à me frapper vraiment
très fort. J'éprouvai à la
fois un sentiment de grande confusion et
l'impression d'unité et d'harmonie la plus
incroyable de mon existence. Il était si
totalement différent de ce que je
m'étais figuré et pourtant, en
même temps, si familier. À cet instant
je sentis toute la souffrance, toute la douleur de
ces dernières années fondre comme
neige au soleil. Et même si la peine allait
revenir par la suite, l'amour que j'avais
éprouvé alors l'atténuerait
considérablement.
J'avais
entendu parler de Maharajji en voyageant à
travers l'Inde et je finis par le trouver à
Allahabad. Je le rencontrai pour la première
fois un matin de bonne heure. Maharajji se tenait
dans une chambre, sur le lit, face à une Ma
[disciple indienne] assise à
même le sol. Il y avait des fruits sur le
lit. Puis une main sortit de sous la grande
couverture. Il prit quelques grosses pommes et se
mit à en bombarder la poitrine de la femme,
laquelle était complètement
absorbée en méditation. J'observais
la scène. Soudain Maharajji tourna les yeux
dans ma direction. Il était si stable, si
indéracinable et organique qu'on aurait dit
un arbre. D'une chiquenaude il envoya voler une
banane qui atterrit droit dans ma main. Je me
demandai bien ce que j'allais faire de cette
banane, un objet sacré. Je finis par me dire
que le mieux serait encore de la manger.
J'arrivais des
États-Unis. J'appartenais alors à une
secte indienne très religieuse dont le Guru
était présenté comme le seul
et unique sauveur. Au bout de deux semaines
seulement auprès de ce soi-disant messie,
j'étais passablement
désenchanté et je partis errer
à travers l'Inde, espérant toujours
découvrir le seul Guru authentique et pur.
À plusieurs reprises j'entendis parler de
Maharajji. Des gens me disaient qu'il
n'était pas loin. Mais, n'éprouvant
aucune attirance particulière, je ne fis
aucune démarche dans sa direction. Un beau
jour je me trouvais près de Bombay, toujours
en quête du vrai Guru, quand un vieil ami
vint me voir. Tant de clarté et de
lumière émanaient de sa personne
qu'avant même d'entamer la conversation je
décidai de me rendre au plus vite à
l'endroit d'où il arrivait. Il venait de
quitter Maharajji à Vrindaban. Je fis mes
valises et partis dans l'après-midi.
Vingt-quatre heures plus tard j'étais devant
Maharajji. Les Occidentaux ne manquaient pas.
Maharajji ne m'adressa pas la parole mais fixa
longuement mon chakra du cur [centre
subtil, littéralement "roue"] et comme
une voix intérieure se mit à me
parler et à me répéter que ma
quête était terminée.
J'étais rentré à la
maison.
Cela faisait
un bon moment que je pratiquais la
méditation bouddhiste à Bodh Gaya.
Les trois premières semaines du second mois
venaient de s'écouler quand un drôle
de petit bonhomme se mit à apparaître
en haut à droite de ma conscience. Il
souriait de façon presque continue. Il
arrivait et repartait à sa guise. Je me
demandais bien qui cela pouvait être. Je
finis par me demander s'il ne s'agissait pas de
Maharajji dont j'avais entendu parler
l'année précédente.
À la fin de ma retraite, j'ouvris un
exemplaire des Cent Mille Chants de
Milarépa et une photo de Maharajji tomba
du livre. Quand nous nous rendîmes à
Vrindaban où il était censé
être, le temple était fermé.
Dépité d'avoir fait tout ce trajet
pour trouver porte close, je traversai la rue et
m'assis en face dans le caniveau.
J'eus soudain l'impression que Maharajji avait
bondi par-dessus le mur, car je me trouvai d'un
coup comblé et entouré d'un
gigantesque amour inconnu. J'éclatai en
sanglots. À me voir ainsi pleurer toutes les
larmes de mon corps, les passants pensaient que cet
Occidental aux longs cheveux avait perdu la raison.
Ils se contentaient de sourire et poursuivaient
leur chemin.
Je ne savais pas ce qui se passait mais j'avais
l'impression très nette d'être
arrivé à la maison. Il ne faisait
aucun doute que je me trouvais
précisément où je voulais
être. Un mois plus tôt, je n'aurais pu
imaginer pareille expérience. C'est pourtant
ce que je vivais à présent dans un
état de grand bonheur et de soulagement
intense. Mon cur me faisait l'effet de
s'être ouvert d'un coup.
Peu après, on nous fit entrer à
l'intérieur du temple. Maharajji me posa
toutes les questions habituelles : qui
j'étais, d'où je venais et ce que je
faisais. Et je me vis soudain m'incliner et poser
ma tête à ses pieds sans que
cela me gênât le moins du monde. Et il
me caressait la tête et me tenait des propos
du genre : "Content de te voir parmi nous.
Bienvenue à bord !" Je ne souhaitais qu'une
chose : ne jamais lui lâcher les pieds, et
que la chose fût en totale contradiction avec
l'image que j'avais de moi-même ne me
troublait nullement.
Après
avoir rencontré Maharajji, ma femme
était venue me chercher en Amérique
pour m'emmener avec elle et me le faire
connaître. Le spectacle que je
découvris lors de notre première
visite me rebuta. Tous ces Occidentaux
cinglés vêtus de blanc pendus aux
basques de ce gros vieillard dans sa couverture !
Il y avait une chose que je ne supportais pas :
voir des Occidentaux lui toucher les pieds. Le
premier jour il ne fit pas attention à moi.
Mais quand ce total manque d'intérêt
pour ma personne eut duré sept jours
d'affilée je commençai à
être très vexé. Je
n'éprouvais aucun amour pour lui ; en fait
je n'éprouvais rien du tout. Je me mis en
tête que ma femme s'était
laissée embarquer dans une espèce de
secte de fous. À la fin de ma semaine
j'étais prêt à m'en aller.
Nous logions à l'hôtel de Nainital et,
le huitième jour, je dis à mon
épouse que je ne me sentais pas bien. Je
passai la journée à me promener
autour du lac, songeant que si ma femme se
passionnait à ce point pour un
phénomène qui de toute
évidence ne me concernait pas, cela
signifiait la fin de notre mariage. Je contemplais
les fleurs, la montagne et les reflets dans le lac,
mais rien ne pouvait chasser mon état
dépressif. Et je fis alors une chose que je
n'avais jamais vraiment faite de toute ma vie
d'adulte. Je me mis à prier.
Je m'adressai directement à Dieu :
"Qu'est-ce que je fais ici ? Qui est cet homme ?
Ces gens sont tous cinglés. Je n'ai rien
à faire ici."
C'est alors que me revint la phrase suivante : "Si
seulement vous aviez la foi, nous n'auriez pas
besoin de miracles."
"Bon, d'accord Dieu, je n'ai pas la foi. Envoie-moi
un miracle."
Je scrutai le ciel à la recherche d'un
arc-en-ciel, mais en vain. Il ne se passa rien et
je décidai donc de partir le lendemain.
Le lendemain matin nous prîmes un taxi
jusqu'à Kainchi afin de faire nos adieux au
temple. Si je n'aimais pas Maharajji, je tenais
tout de même, par honnêteté,
à lui dire le fond de ma pensée. Nous
arrivâmes les premiers et nous assîmes
sous la galerie devant son tucket [lit de
bois]. Maharajji n'était pas encore
sorti de la pièce dans laquelle il se
trouvait. Il y avait des fruits sur le tucket et
l'une des pommes était tombée par
terre. Je me baissai donc pour la ramasser.
À cet instant précis Maharajji sortit
de sa pièce et posa le pied sur ma main, me
clouant par là même au sol. Je me
trouvais donc à genoux, la main en contact
avec son pied, dans cette position que je
détestais tant. Quelle honte !
Les yeux baissés sur moi, il me demanda :
"Où étais-tu hier?" Puis il ajouta :
"Etais-tu au lac ?" [Il employa le mot anglais
lake.]
Dès qu'il eut prononcé ce mot "lake"
je commençai à éprouver une
sensation très bizarre au bas de la colonne
vertébrale et un fourmillement envahit tout
mon corps qui me picotait. C'était
très étrange.
"Que faisais-tu au bord du lac ?"
Je commençai à ne pas être dans
mon assiette.
"Tu faisais du cheval ?
Non.
Tu ramais ?
Non.
Tu étais allé nager ?"
Puis il se pencha et me glissa à l'oreille
d'une voix douce : "Parlais-tu à Dieu ?
As-tu demandé quelque chose ?"
C'est alors que je m'effondrai et partis à
pleurer comme un bébé. Il me renversa
sur le côté et se mit à me
tirer la barbe en répétant : "As-tu
demandé quelque chose ?"
J'avais vraiment l'impression de subir une
initiation. À cet instant, d'autres
personnes, arrivées entre temps,
m'entourèrent et me caressèrent et je
découvris alors que presque toutes
étaient passées par une
expérience analogue. Une question triviale
"Etais-tu au lac ?" mais qui ne
concernait que moi, avait fait voler en
éclats ma perception de la
réalité. Il était
évident que Maharajji voyait clair à
travers toutes les illusions ; on ne pouvait rien
lui cacher. Au fait, aussitôt après il
me posa la question suivante : "Tu veux
écrire un livre ?"
Telle fut ma cérémonie de bienvenue.
Après cet événement je ne
souhaitais qu'une chose : pouvoir lui masser les
pieds.
C'était
à Londres. Je voyageais à bord d'un
bus presque vide. À un moment donné
monta un vieil homme affublé d'une
couverture qui choisit d'occuper la place à
côté de moi, près de la
fenêtre, si bien que je dus me lever pour lui
permettre de s'asseoir. Cela ne me plut
guère, mais, en m'asseyant, il me gratifia
d'un si beau et si doux sourire que j'en oubliai le
dérangement et me rassis en me disant :
"Quel vieil homme charmant !" Avant l'arrêt
suivant je tournai la tête de son
côté pour le regarder à nouveau
mais il avait disparu !
Depuis que le vieil homme était monté
le bus ne s'était pas arrêté.
Comment avait-il bien pu disparaître sans que
je me lève pour lui permettre de quitter sa
place ?
Plus tard, sur le conseil d'un ami qui y avait
séjourné, je me rendis en Inde et
j'eus l'occasion de voir une photo de Maharajji
c'était mon homme ! Je parvins
à le trouver et j'appris que le jour
précis où je l'avais rencontré
dans un bus londonien portant un plaid bien
reconnaissable, une femme lui avait offert la
couverture en question en Inde, et il s'en
était aussitôt revêtu.
Mus par un désir ou un empressement
variable selon les individus, les Indiens eux aussi
venaient à Maharajji. Mais pour eux
c'était différent. Ils avaient grandi
au sein d'une culture qui comptait de très
nombreux saints et les parents de la plupart
d'entre eux avaient eu des Gurus. Pour la famille,
le Guru représentait un mélange de
grand-père, de guide temporel et spirituel,
et de reflet du ciel ou de manifestation divine.
Dans bien des cas ils traitaient Maharajji
davantage comme un homme que comme un dieu, et
pourtant, en même temps, ils n'avaient pas de
mal à se soumettre et à s'en remettre
entièrement à lui. En ce qui les
concernait, la reddition était moins une
affaire d'ego que pour nous. Pour les disciples
indiens les plus proches de Maharajji, si les
premières rencontres avec le maître
présentent effectivement de notables
différences de culture avec l'Occident,
elles montrent bien aussi le point commun de
l'ouverture et de l'amour éprouvés
par tous, par-delà la diversité des
origines.
Je connais
Maharajji depuis que je suis venu au monde. Mes
parents étaient tous deux de ses disciples
mon père depuis 1940 et ma
mère depuis 1947. De ce fait, et parce qu'il
était sans cesse question de lui dans la
famille, il fut notre maître à tous
dès la naissance.
J'ai
rencontré Maharajji pour la première
fois à Bhowali il y a fort longtemps.
Maharajji rendait souvent visite à une Ma
qui habitait dans cette ville. Je lui ai
expliqué que j'avais entendu parler de lui
mais que je ne l'avais jamais vu et je lui ai
demandé de me faire savoir la prochaine fois
où il passerait chez elle. Environ une
semaine plus tard, Maharajji arriva dans la nuit.
Le matin je reçus un message et partis sur
le champ. Je le trouvai allongé sur un petit
lit. Après m'avoir regardé, il ferma
les yeux un instant. Il savait immédiatement
à qui il avait affaire, qui j'avais
été et ce qui m'attendait en ce
monde. Au bout de quelques secondes, il me dit :
"Je suis très content de te voir" et il
répéta cette phrase un nombre de fois
considérable. Maharajji avait fait le chemin
de Nainital à Bhowali à pied pendant
la nuit. Il m'expliqua que c'était moi qui
l'avais amené ici et qu'il me reverrait
à Haldwani. Puis il monta dans un car
à destination d'Almora. [À cette
époque il voyageait presque toujours en car
et utilisait peu les voitures.] Des gens me
mirent en garde et me conseillèrent de ne
pas le prendre au sérieux : "Neem Karoli est
un grand menteur. Il dit très rarement la
vérité. On ne peut pas compter sur
lui."
En tout cas, je me suis rendu à Haldwani. Au
bout de quelques jours, quelqu'un vint m'annoncer
son arrivée et me donner son adresse.
J'allai aussitôt le rejoindre et je ne l'ai
plus jamais quitté.
J'ai fait la
connaissance de Maharajji en 1950 à
l'occasion d'un voyage en voiture de Nainital
à Haldwani en compagnie de mon patron et de
Maharajji en personne. Mon patron, alors ministre,
était déjà son disciple et
l'avait fait profiter de sa voiture. Mais pendant
le voyage, j'ai fumé des cigarettes et me
suis comporté comme si Maharajji
était un simple quidam. En 1958,
après la mort de ma mère, je me
trouvais à Bhowali avec mon père
à l'occasion de vacances. Nous logions dans
la maison où venaient se reposer les membres
du gouvernement et mon père se trouva mal
pendant la nuit. Il souffrait beaucoup. Nous avons
appelé le médecin, qui lui a fait une
piqûre, mais la douleur persistait. Le
lendemain, des médecins venus de Nainital
ont dit qu'il fallait l'opérer d'urgence de
la vésicule biliaire. Ce même jour
j'allai consulter au sanatorium tout proche
où se préparait une puja [rituel
de prières] pour célébrer
l'ouverture d'un petit temple dédié
à Hanumân que le docteur, disciple de
Maharajji, avait fait bâtir. Je restai pour
la fête. Maharajji était venu mais il
était caché et demeurait invisible.
J'éprouvais le désir de le
rencontrer. J'appris qu'il avait mis quelqu'un en
état de transe. Je m'attardai un moment,
observant la cérémonie à
distance avant de m'en aller.
Ce soir-là un employé de la gare
routière de Nainital vint me demander de
rendre visite à un certain Baba Neem Karoli.
Les babas pullulent tellement que je ne tins pas
compte de ce message. Le soir venu, je me rendis
pourtant à la gare routière pour
tenter de découvrir qui m'avait fait
parvenir ce message, mais personne ne fut en mesure
de me renseigner. Cela excita encore davantage ma
curiosité. Je demandai où je pourrais
trouver ce Baba Neem Karoli et partis
aussitôt le voir. Après m'avoir
appelé par mon nom, Maharajji me dit :
"Ton père est très malade.
C'est vrai."
Tu pensais qu'il allait peut-être
mourir, mais Dieu l'a guéri. Les docteurs
t'ont dit qu'il devrait subir une opération
mais il ne faut pas qu'on l'opère. Sa
santé va s'améliorer.
Maharajji m'offrit deux ou trois mangues que je
donnai à manger à mon père, et
il commença à aller mieux. Au bout de
plusieurs jours Maharajji me fit à nouveau
appeler. J'allai aussitôt le voir mais ne lui
touchai pas les pieds. J'avais l'intention de
retourner à Delhi et Maharajji me mit en
garde : "Tu vas partir pour Delhi. Tu conduis trop
vite. Emmène ton père. Sois prudent,
prends soin de lui et il ira très bien." Ces
paroles m'allèrent droit au cur et je
touchai les pieds de Maharajji. Mon père
n'eut jamais à subir d'opération. Sa
santé devint florissante et il ne fit jamais
de rechute.
Comme je
n'étais pas marié, j'habitais chez
mon frère et sa femme. Quand Maharajji vint
leur rendre visite, je me retirai tout au fond de
la maison dans une pièce à
l'écart. Je ne souhaitais pas avoir de
contact avec des gens de son espèce car je
pensais alors : "Les sadhus [saint homme qui a
renoncé au monde pour se consacrer à
la vie spirituelle] sont des bons à
rien." Au bout d'un moment je vis entrer Maharajji
dans la pièce où je me trouvais. Il
s'assit près de moi et me dit aussitôt
: "Les sadhus sont des bons à rien."
Après quoi je devins un de ses
disciples.
Un des plus
proches disciples de Maharajji, un homme qui le
vénère depuis vingt ans, apporte le
témoignage suivant :
Je suis enseignant et, en 1935, je profitai des
vacances scolaires pour me rendre en
pèlerinage à Dakshineshwar. Dans le
quartier où beaucoup de temples sont
dédiés à Shiva un homme que je
n'avais pas remarqué apparut devant moi
comme surgi de nulle part.
"Mon fils, me dit cet homme, tu es Brahmine ? Je
vais te donner un mantra [formule sacrée
qui sert d'objet de méditation].
Je n'en veux pas, répondis-je. Je ne
crois pas à ces choses.
Il faut absolument l'accepter",
insista-t-il. Je me laissai donc fléchir et,
pendant de nombreuses années, récitai
fidèlement le mantra tous les jours.
Je passe maintenant au mois de juin 1955. J'avais
alors des amis aussi proches que des membres de ma
famille. Tous les dimanches soirs nous nous
retrouvions chez moi et bavardions de choses et
d'autres. Un dimanche, vers 21 heures, je vis ma
femme, ma tante et ma mère quitter la
maison. Je leur demandai où elles allaient
et elles répondirent : "Tout près
d'ici, voir un baba de passage." L'un des hommes
présents ce soir-là lança d'un
ton cynique : "Est-ce qu'il mange ? Je peux lui
préparer un ragoût." [L'homme en
question était chasseur.]
Ma femme réagit : "Tu ne devrais pas dire
des choses pareilles."
Dix minutes plus tard elles étaient de
retour. Elles nous racontèrent que le baba,
installé dans une cabane de torchis, leur
avait dit de s'en aller. Quand il vit qu'elles ne
partaient pas, il leur ordonna de filer :
"Allez-vous en ! Les amis bengalis de votre mari
sont arrivés. Allez leur servir du
thé. Je passerai vous voir dans la
matinée."
Le lendemain matin j'allai lui rendre visite en
compagnie de ma femme. Maharajji se tenait assis
sur un lit minuscule dans une pièce
exiguë. À notre vue, il se leva
précipitamment et me prit la main : "Filons
!" Nous partîmes si vite que ma femme dut
enlever ses sandales pour nous suivre. Il nous
conduisit à notre propre maison et nous
annonça qu'il allait rester chez nous. Quand
les femmes de l'autre maison vinrent le chercher il
refusa de partir.
Plus tard il me demanda : "Tu es dévot de
Shiva ?
Oui.
Tu as déjà un mantra." Je
compris alors que le mantra m'avait
été remis vingt ans plus tôt
par Maharajji en personne.
Ma
première rencontre avec lui à Kanpur
fut agréable mais très brève.
Je ne sais même pas si elle dura deux
minutes. Je m'inclinai devant lui. Il me demanda
qui j'étais et me donna sa
bénédiction avant de partir
brusquement. Personne n'aurait pu dire où il
était passé.
Je le revis dix mois, ou peut-être un an plus
tard à Lucknow. Ce jour-là il fit
partir, les unes après les autres, les
nombreuses personnes présentes pour ne plus
garder que nous trois. Alors il demanda à ma
belle-sur : "Que veux-tu ?" Elle
répondit qu'elle était venue
simplement lui présenter ses respects.
Ensuite il me posa la même question : "Je ne
souhaite que votre bénédiction, rien
de plus."
Il finit par se tourner vers ma femme : "Tu es
venue avec des questions positives. Pourquoi ne les
poses-tu pas ?"
Le fait est qu'elle avait préparé des
questions sans rien en dire à personne. Mais
elle avait décidé de ne pas les poser
elle-même. Elle voulait que Maharajji y
réponde sans même qu'elle ait à
les formuler, et elle voulait que cela se fasse en
tête à tête ; elle demeura donc
silencieuse. Elle ne pouvait pas répondre
qu'elle n'avait pas de questions, mais, à
cause de la décision qu'elle avait prise,
elle ne pouvait pas les poser. Maharajji lui dit
donc : "Tu veux que je réponde à tes
questions sans même que tu les poses. Et tu
veux que j'y réponde quand nous serons
seuls. Tu mets les sadhu à rude
épreuve ! Je passerai répondre
à tes questions demain, chez toi, à
Kanpur." Nous restâmes assis en sa
présence encore quelques instants et il
finit par nous congédier : "Allez-vous en !"
En partant je fus pris d'un doute : peut-être
Maharajji nous avait-il donné le change en
nous promettant de venir répondre à
nos questions le lendemain.
À environ 22 heures ce soir-là, un
message fut délivré à un
disciple de Maharajji qui nous rendait visite. Le
billet annonçait que Babadji [forme
familière de Baba] se rendait chez ce
disciple qui devait donc immédiatement
rentrer chez lui. Nous l'accompagnâmes.
À peine m'étais-je incliné
devant lui qu'il me dit : "Tu as mis en doute mon
intégrité ! Ne doute jamais de la
parole d'un sadhu c'est à lui de
porter le fardeau, pas à toi. Tu ne dois pas
douter." Je lui présentai mes excuses.
J'avais effectivement mis sa parole en doute. Puis
il ajouta : "Bon, je passerai vous voir
demain."
Nous l'avons donc revu le lendemain matin. Comme
c'était la première fois que je le
recevais, je ne savais que faire au juste. On me
dit qu'il n'y avait rien de particulier à
prévoir sinon un grand traversin sur lequel
il pourrait s'appuyer, ainsi que de la nourriture,
des fruits ou du lait. Il choisirait à sa
guise et prendrait ce que bon lui semblerait.
À son arrivée je l'escortai au salon,
mais il me dit : "Non, pas là. Que les
autres s'installent ici, mais conduis-moi à
cette petite pièce !" J'étais
étonné et même stupéfait
étant donné que je ne voyais pas de
quelle petite pièce il voulait parler. Il
décrivit l'endroit en question et traversa
la maison comme s'il savait parfaitement où
il allait. Je me contentais de le suivre. C'est lui
qui me conduisait dans ma propre maison. Il alla
tout droit à la pièce en question et
déclara aussitôt : "Voilà,
c'est bien ici. Appelle Ma [mon
épouse]." Elle arriva sans tarder et il
répondit à toutes les questions qui
la préoccupaient. "Y a-t-il des questions
auxquelles je n'ai pas répondu ?"
s'enquit-il. Force lui fut de répondre qu'il
n'y en avait pas.
Un haut
fonctionnaire de l'administration de Lucknow buvait
comme un trou. Le commissaire de police dit
à Maharajji qu'ils devraient passer chez
lui. Maharajji y consentit et, quand ils
arrivèrent, le fonctionnaire tenait une
bouteille cachée derrière son dos.
Avant même de descendre de la voiture,
Maharajji se mit à crier à
tue-tête : "Qu'est-ce qui se passe ?"
Le fonctionnaire, furieux, lança à
l'adresse du commissaire : "Quel rustre avez-vous
amené chez moi ? J'exige que vous le fassiez
déguerpir au plus vite !"
Le commissaire ouvrit son étui de revolver
et s'apprêtait à menacer le
fonctionnaire qui s'était permis de parler
ainsi à Maharajji. Mais celui-ci explosa :
"Que fais-tu, malheureux ? Cet homme est un grand
saint. Tu n'en vois que les dehors. Je ne
t'accompagnerai plus jamais."
Par la suite le fonctionnaire devint un grand
dévot. Lorsqu'il venait pour le darshan il
restait assis à l'extérieur de la
salle, à côté des chaussures,
car il estimait que sa place était
là. Il finit par devenir le directeur de
l'école d'administration d'Allahabad.
Il souffrait de thrombose. Les derniers temps il
connut des douleurs atroces, mais pratiquait sans
cesse son Ram mantra [répétition
du nom de Ram, un des noms de Dieu] et ne se
départait jamais de sa gaieté. Le
commissaire de police fondit en larmes quand il
vint le voir près de la fin et lui demanda :
"Est-ce que je dois prévenir votre femme et
votre fils ?"
Le fonctionnaire répondit : "Non, ce n'est
pas le moment de s'attacher. À
présent il me faut uniquement penser
à Dieu et à Maharajji. Adieu. Nous
nous reverrons." Et, là-dessus, il
mourut.
Je souhaitais
rencontrer Maharajji depuis déjà
longtemps mais n'arrivais jamais à
l'attraper. Finalement, un jour, un ami vint me
chercher et, à bord de la voiture de sa
compagnie, me conduisit à l'endroit
où Maharajji était censé se
trouver. Il y avait quatre pièces et
Maharajji était dans celle du fond. À
peine avais-je franchi le seuil que Maharajji me
lança : "Dehors !"
Je sortis donc, mais je ne voulais pas m'en aller.
Je restai assis à attendre des heures et des
heures. Finalement, mon ami dut ramener la voiture
car l'heure de la fermeture approchait.
J'étais très loin de chez moi mais
déterminé à ne pas bouger pour
avoir le darshan de Maharajji en bonne et due
forme. Quelqu'un finit par avoir pitié de
moi : "Vous vous y prenez mal. La prochaine fois
que des gens vont entrer dans la pièce,
joignez-vous à eux et, s'il vous met
à la porte, réessayez avec les
suivants." Je suivis ce conseil et essuyai deux
nouveaux refus. La troisième fois, Maharajji
finit par me dire : "Assois-toi. Comment
t'appelles-tu et que fais-tu ?" Puis il ajouta
aussitôt : "Très bien, maintenant
va-t-en !"
Mais je protestai : "Je ne m'en vais pas. Je n'ai
pas encore eu votre darshan. Je n'ai même pas
eu la possibilité de vous parler de mes
problèmes."
Alors Maharajji me dit : "Reviens à 6 heures
du matin." Je rentrai donc chez moi mais ne fermai
pas l'il de la nuit et, à 2 heures du
matin, je me levai pour faire une puja. Je
craignais que Maharajji s'en aille avant que
j'arrive. Quand je me présentai à 6
heures il était déjà parti,
mais on me dit qu'il allait revenir. Il finit
effectivement par revenir et, alors, nous
passâmes de longues heures ensemble. En fait,
j'ai passé le restant de ma vie avec
Maharajji.
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|
|
EUX
qui
rencontrèrent Maharajji ne furent pas tous
"ouverts" ou "éveillés" du premier
coup. Nombreux sont ceux qui, après avoir
passé un moment agréable, repartaient
apparemment inchangés. Ils donnaient
l'impression de ne pas pouvoir "faire affaire" avec
Maharajji.
|
Soit ils
n'étaient pas prêts à
être touchés au tréfonds, soit
le véhicule du Guru ne leur convenait pas,
ou bien encore ce Guru ne devait pas être
leur maître.
Balaram [s'adressant à un nouvel
arrivant sous la véranda de Vrindaban] :
"Avez-vous eu le darshan de Maharajji ?
Je ne sais pas. Vous voulez parler du gros
assis là-bas ?"
Il y avait aussi ceux qui, sans pour autant
connaître de "zapping" majeur, n'en
réagissaient pas moins à un subtile
fil invisible qui les ramenait sans cesse à
Maharajji.
"J'étais étonné de
constater à quel point de vrais durs
à cuire pouvaient fondre comme du beurre au
contact de Maharajji."
Pour beaucoup d'entre-nous qui avaient vécu
une ouverture spectaculaire ou s'étaient
sentis mystérieusement attirés
dès la première fois, notre existence
se voyait régie par le puissant désir
d'être avec Maharajji. Nous étions
devenus des "dévots", des disciples, car, en
sa présence, nous avions le sentiment de
nous trouver "au foyer", dans le cur de Dieu.
Il n'était donc guère étonnant
que nous recherchions son contact avec une telle
insistance. Nous quittions notre maison pour
bénéficier de la compagnie de ce mage
qui, tel le joueur de flûte d'Hamelin, nous
apprenait à danser et à jouer dans
les champs du Seigneur.
|
|
Mais il y avait
parfois loin entre le désir d'être
avec Maharajji et la réalité d'une
rencontre effective à cause de la nature du
comportement de cet homme. Ses déplacements
étaient imprévisibles et dès
qu'il faisait halte à un endroit, ne
serait-ce que quelques jours, les gens se mettaient
à affluer du matin au soir de façon
ininterrompue. Certains venaient pieds nus de
fermes toutes proches en portant des
bébés nus dans leurs bras ; d'autres
arrivaient en jet ou en taxi.
Je me tenais devant une modeste maison d'un
petit village de montagne quand Maharajji fit une
apparition inopinée. On me pria de rester
dehors dans la cour. J'eus donc tout le loisir
d'observer les gens. Ils semblaient vraiment surgir
de nulle part et des quatre coins de l'horizon. Ils
couraient à toutes jambes, certaines femmes
aux bras couverts de farine s'essuyaient les mains
sur leur tablier, d'autres portaient leurs
bébés à moitié
vêtus. Les hommes avaient laissé leur
magasin sans surveillance. Certains cueillaient des
fleurs dans les arbres en passant de façon
à pouvoir offrir quelque chose... Mais ils
se hâtaient avec un désir, un espoir,
une joie, une vénération qui se
lisaient sur tous les visages.
S'il est vrai
que beaucoup attendaient des bienfaits tangibles du
"baba miracle", ils ne se contentaient pas de
l'aspect mondain de la chose mais souhaitaient
aussi goûter à nouveau le nectar de sa
présence.
Devant cette pression qui s'exerçait sans
relâche sur Maharajji nous oscillions entre
deux réactions. Il nous arrivait de nous
considérer nous-mêmes et les autres
disciples et chercheurs comme autant de vautours
après un morceau de chair fraîche ou,
un essaim de mouches agglutinées sur un
morceau de sucre. Nous tentions alors de le
protéger et restions souvent à
l'écart de façon à ne pas en
rajouter.
Mais à d'autres moments nous nous rendions
compte à quel point Maharajji
maîtrisait parfaitement la situation. Quand
il trouvait que les gens lui "dévoraient le
crâne", pour reprendre son expression, il se
retirait tout simplement dans une pièce
à l'écart dont il fermait la porte,
ou renvoyait tout le monde, ou encore montait en
voiture et filait sans plus de
cérémonie. Une fois, après
avoir voyagé pendant des mois afin de
rencontrer Maharajji, nous finîmes par le
trouver chez un disciple de Delhi. Il nous autorisa
à partager sa chambre quelques instants
avant de nous demander de sortir prendre le
thé avec beaucoup d'autres. Environ un quart
d'heure plus tard, Maharajji quitta la pièce
qu'il occupait et passa à cinquante
centimètres de nos visages sans tourner la
tête ni manifester quoi que ce soit à
notre endroit. Un véhicule l'attendait. Il
monta et la voiture démarra pour une
destination inconnue. De toute évidence, une
telle personne n'était pas à notre
merci !
Maharajji se déplaçait donc sans
cesse de façon tout à fait
imprévisible. Dans l'enceinte même
d'un temple il passait d'un endroit à un
autre, parfaitement disponible à un moment
donné pour disparaître l'instant
d'après, enfermé à double tour
dans une chambre où nul n'avait
accès.
S'il s'arrêtait quelque temps dans une ville,
les disciples pouvaient toujours s'installer
près du temple et venir chaque jour attendre
le moment où il se montrerait. Mais il ne
limitait pas ses déplacements à un
lieu précis. Il allait de village en
village, passait de la montagne à la plaine,
d'un bout de l'Inde à l'autre, quittait les
temples pour loger chez des particuliers ou dans
des ashrams perdus dans la jungle. Il lui arrivait
de partir en pleine nuit pour une destination
inconnue sans que personne fût au courant. Il
pouvait très bien monter dans un train en
partance pour une ville donnée et soudain
descendre à une gare intermédiaire,
parfois si rapidement, avant même
l'arrêt de la locomotive, que les
dévots qui l'avaient suivi se retrouvaient
laissés pour compte.
Le désir intense d'être avec
Maharajji, face à sa conduite si
déroutante et insaisissable,
générait des parties de cache-cache
extrêmement complexes qu'un disciple
facétieux baptisa "la grande course
effrénée à la grâce"
["the great grace race"].
Les disciples de Maharajji avaient le sentiment de
participer à une perpétuelle chasse
au trésor que seules limitaient les
ressources économiques et les
responsabilités familiales de chacun. Le
trésor était bien sûr le
darshan avec Maharajji. Et ce trésor
était une cassette vraiment royale ! Un
dévot indien a résumé la chose
en quelques mots : "Même un rapport sexuel
avec ma femme ne saurait égaler le darshan
avec Maharajji."
Les disciples indiens de Maharajji avaient mis au
point un système de communication
très élaboré qui leur
permettait, avec au moins trente pour cent de
réussite, de retrouver la piste de Maharajji
et de savoir où il demeurait dans la
journée qui suivait son arrivée dans
n'importe quelle ville ou village. Nous,
Occidentaux, n'avions pas cette chance. Il nous
fallait donc faire feu de tout bois
intelligence, intuition, ruse et un sacré
culot pour parvenir à nous asseoir
à ses pieds. Si notre pourcentage de
réussite n'était peut-être pas
aussi impressionnant que celui des Indiens, nous
compensions largement par notre manière de
procéder et nos entrées et nos
sorties ne passaient pas inaperçues.
J'étais en plein darshan avec Maharajji
quand, tout à coup, je vis se pointer
Tukaram. Je lui demandai comment il était
entré et il m'apprit qu'il venait de faire
le mur. Alors je me suis dit : "Mon Dieu, il me
reste très peu de temps." Puis ce fut le
tour de Krishna Priya. Le chaukidar
[gardien] la vit escalader le mur et comme
il ne voulait pas qu'on croie qu'il les avait
laissé entrer, il vint annoncer la nouvelle
à Maharajji : "Baba, tous ces gens ont fait
le mur. Je suis désolé. J'ai fait mon
possible pour les empêcher d'entrer."
Maharajji commença par exploser :
"Flanque-les dehors ! Tous à la porte !" Je
fus, moi aussi, expulsé. Nous, les
Occidentaux, partagions tous le même
sentiment de culpabilité. Le lendemain,
quand nous revînmes pour un nouveau darshan,
nous nous aperçûmes que le mur
d'enceinte avait été
surélevé et qu'il était deux
fois plus haut.
|
BIEN
DES
NIVEAUX
|
ET
BIEN
DES
CHANGEMENTS
Quand
vous finissiez par arriver au bon endroit au moment
opportun et qu'on vous confirmait qu'il
était bien là, quel effet cela
faisait-il de se retrouver assis devant lui ?
Même la langue des dieux et déesses de
l'élocution, de la musique et de la
poésie ne saurait le dire en termes
appropriés. Et moi, donc, comment le
pourrais-je ? Comme les aveugles avec
l'éléphant, chaque dévot
rencontrait un Maharajji différent.
Dès que Maharajji apparaissait vous ne
saviez plus sur quel pied danser. Il pouvait faire
la même chose une semaine d'affilée et
vous vous disiez alors : "Bon, il sort de sa
chambre à 8 heures." Et le lendemain il
pouvait très bien ne pas mettre le nez
dehors de toute la journée. Il lui arrivait
même d'aller s'enfermer dans une autre
chambre pendant quarante-huit heures. Il fallait
apprendre à prévoir l'imprévu.
Un jour il se présenta à nous en
répétant sans arrêt du matin au
soir : "Thul-thul, nan-nan," comme s'il se
récitait un mantra. Des jours et des jours
passèrent ainsi et quelqu'un finit par lui
demander : "Maharajji, qu'est-ce que vous dites ?"
Et il se trouve que ces mots qui appartenaient
à un vieux dialecte behari signifiaient
simplement : "Trop grand, trop grand, trop petit,
trop petit." Quand on l'interrogea sur le sens
à donner à ces paroles, il expliqua :
"Oh, tous autant que vous êtes vous vivez
dans thul-thul, nan-nan ; vous vivez dans le monde
du jugement. C'est toujours trop grand ou trop
petit."
Une fois assis
devant Maharajji on ne peut jamais dire avec qui il
travaille le temps de son darshan. Il se peut qu'il
parle à quelqu'un et que ce soit une tout
autre personne qui se trouve bouleversée.
Quant à vous, vous êtes bien
incapables de dire ce que vous recevez de lui au
juste.
Ce qui m'a
beaucoup frappé, moi et tant d'autres, c'est
le nombre de niveaux auxquels Maharajji
opérait en même temps. Nous
étions tout bonnement assis devant lui et,
apparemment, il ne se passait rien que de
très banal. On prenait le thé et il
lui arrivait de lancer quelques fruits à la
ronde, ou quelqu'un venait dire quelques mots. Tout
se passait vraiment le plus sobrement du monde,
mais nous observions le moindre de ses gestes, nous
nous délections de la façon dont il
inclinait la tête et bougeait les bras. En
même temps que nous éprouvions une
joie d'une légèreté indicible,
nous avions l'impression de nous trouver au
cur d'un brasier ronflant de fureur.
Des gens
entourent Maharajji et se concentrent en silence.
Maharajji tourne le dos à quelqu'un et,
dès qu'il capte une pensée vagabonde,
se tourne pour faire face à la personne en
question. Avec une expression de
contrariété et d'amour
mêlés il lève un doigt ou
brandit le poing. Si quelqu'un médite, il
lui tord le nez ou lui tire la barbe. Il s'adresse
à une femme qu'il couvre de compliments. Il
en calomnie une autre en racontant toutes sortes
d'abominations sur son compte. Il pivote en
direction d'un troisième individu et lui
intime l'ordre de sortir : "Va-t-en, espèce
de pervers !"
Et les paroles, les pommes, le thé, les
silences et les rires étaient tous
entraînés dans un fleuve d'amour qui
jaillissait continûment de Maharajji. Les
disciples qui "savaient" se réjouissaient
autant de ses insultes que de ses louanges car tout
était amour palpable et nourriture pour
l'esprit.
Dans ce domaine nous réglions notre conduite
sur l'un des disciples les plus anciens et
respectés du nom de "Dada" qui servait
Maharajji avec une abnégation qui nous
remplissait d'un mélange d'effroi et
d'infini respect. Quand Maharajji le complimentait,
Dada disait toujours : "Ha, Baba,"
c'est-à-dire : "Oui, Baba." Et quand
Maharajji l'insultait, l'accablant parfois du matin
au soir, il répliquait exactement sur le
même ton : "Ha, Baba !" De toute
évidence la gloire et la honte lui faisaient
le même effet, du moins quand Maharajji en
était la cause. Maharajji ne pouvait plus
mettre Dada en colère ou le faire
culpabiliser. Toutes les années
passées auprès de son maître
avaient brûlé tout ça. Dans un
cas comme dans l'autre, Dada ne voyait plus que
grâce à l'état pur.
Il arrivait que Maharajji s'adresse à une
personne et tout le monde écoutait, ravi
d'être simplement présent.
L'observation des nouveaux était une grande
source d'amusement. D'abord sceptiques, ils
posaient toutes sortes de questions, puis nous
voyions leur cur s'épanouir doucement
et leur douceur émerger grâce aux
tendres soins du maître jardinier. Nous
prenions place dans les groupes de nouveaux et
Maharajji allait de-ci de-là. Occupé
avec quelqu'un à côté de lui,
on le trouvait l'instant d'après à
l'autre bout du temple accueillant un disciple qui
venait d'entrer. En un tournemain il nous faisait
passer du rire à la plus ardente
concentration avant de nous amuser à
nouveau. Nous avions alors l'impression
d'être des pantins entre les mains d'un
marionnettiste.
La société de Maharajji
était une expérience hors du commun.
Il était toujours aussi naturel qu'un enfant
ou qu'un saint tel qu'on les décrit
habituellement. Il n'exigeait pas de conditions
préalables ni de comportement particulier de
ses disciples. Le monde extérieur
l'affectait rarement. Il pouvait converser
simultanément avec six personnes, une
caméra pointée à trente
centimètres de son visage. Il était
sans forme. Il ne pratiquait ni
cérémonies ni pujas. Il ne se
conformait à aucune coutume comme, par
exemple, le bain rituel. Pourtant, sa
présence était plus qu'inspirante ;
elle illuminait. Lorsqu'on méditait en sa
présence ou non loin de lui, même s'il
parlait ou plaisantait bruyamment, on ne tardait
pas à accéder à un état
de grande clarté, une pure lumière si
difficile à connaître sans sa
grâce et son pouvoir.
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de la page
DES
DARSHAN
HORS
DU
TEMPS
Maharajji
conseillait souvent à ses dévots
indiens de rester assis en silence : de simplement
s'asseoir, d'écouter et absorber. Mais
c'était difficile à réaliser
auprès de Maharajji car il était au
centre d'une pièce de théâtre
continue qui focalisait notre attention : qui
arrivait, qui s'en allait ; ce qu'ils disaient ; la
nourriture qu'on distribuait ; qui
réussissait à s'asseoir le plus
près de lui ; sa manière de
procéder avec chacun ; ceux qu'il caressait
et ceux après qui il vociférait ; la
façon dont il bougeait sur le tucket. Un
Indien nous confia que ceux d'entre nous qui ne
parlaient pas hindi avaient de la chance car cela
nous empêchait d'être trop pris par le
spectacle. Quand régnait un peu de silence
ou quand vous parveniez à vous
détacher du mélodrame, vous pouviez
alors baigner dans la grâce intemporelle de
sa présence.
À l'instant où vous le rencontrez,
si vous êtes prêts, il se plantera en
vous la graine, la semence. Et le temps
n'est pas un facteur ; il n'est rien.
Vous oubliiez
tout en sa présence. Il n'y avait plus que
Maharajji adoration totale et sans effort.
C'est ça la vraie puja.
À
Kainchi il nous arrivait de veiller très
tard lorsque nous parlions avec Maharajji, à
en perdre toute notion du temps. Nous entendions
soudain quelqu'un faire sa toilette matinale et
nous savions alors qu'une nuit entière
venait de s'écouler.
C'était
l'un de ces darshan où vous avez le
sentiment que quelqu'un vous a mis du L.S.D. dans
le thé.
Nous nous
chauffions à son soleil, nous nourrissions
de son éclat.
À vrai
dire, vous êtes véritablement plus en
communion avec Maharajji quand vous n'êtes
pas en présence de sa forme.
L'éloignement permet de mieux se concentrer
sur lui sans être
dérangé.
|
DARSHAN
D
' INTIMITÉ
Pour
d'autres ressort surtout la précieuse
intimité qui consiste à
éprouver la présence d'un autre
être au sein d'un espace commun, le soupir
d'un amant qui sait tout des replis de votre
cur.
Maharajji ne faisait jamais de prêches ni
de causeries ; il s'exprimait à
l'intérieur de votre cur. Avec lui on
avait automatiquement accès à la
connaissance. Ça passait par le cur et
non par la lecture.
À
Kainchi nous nous retrouvions à dix ou vingt
pour parler avec Maharajji au fond de l'ashram.
L'un d'entre nous l'interrogeait sur la vie ou sur
Dieu. Maharajji se mettait à parler et
très vite tout le monde était en
pleurs. Il lui arrivait d'évoquer le Christ
et de fondre lui-même en larmes.
Lui et moi
n'avons jamais beaucoup échangé sur
un plan verbal. Mais à l'intérieur je
sentais tellement d'amour que je restais dans les
parages. Quand je partais je ne m'éloignais
pas beaucoup et je revenais toujours.
C'était comme ça pour beaucoup de
gens.
Maharajji
touchait le cur de chacun d'une façon
très personnelle et intime. La rencontre
avec Maharajji était différente pour
chacun. On ne peut raconter ce que c'était
que d'être avec lui. Il faut
l'éprouver dans son cur.
Il avait une
telle douceur qu'il était impossible de le
craindre. Mais vous aviez parfois l'impression
d'être en présence d'un lion.
Trois ou
quatre jeunes Occidentales assistaient à
l'anniversaire de Krishna. Pendant que tout le
monde s'était réuni dans le temple
pour le kirtan [chant dévotionnel]
devant Lakshmi-Narayan, elles allèrent
s'installer sous la fenêtre de Maharajji dont
les volets étaient fermés de
l'intérieur et entonnèrent un doux
chant consacré au bébé Krishna
[une incarnation de Vishnu], Devakinandana
Gopala. Au bout d'un moment Maharajji ouvrit les
volets et leur demanda de s'en aller avant de
fermer la fenêtre en claquant les volets. La
scène se répéta plusieurs fois
tandis que les jeunes femmes poursuivaient leur
chant suave. Maharajji finit par ouvrir une
dernière fois les volets, à cette
différence près qu'à
présent son visage ruisselait de larmes, et
il écouta un bon moment, transporté
en état de bhava [attitude ressemblant
à l'extase].
Vous vous
souvenez du passage où Castaneda parle d'
"arrêter le monde" ? Il arrivait que
Maharajji vous fasse vivre des choses et, sur le
coup, c'était tout à fait
l'impression que cela donnait. À certains
moments vous écoutiez, à d'autres
votre attention se relâchait et puis,
soudain, Maharajji faisait quelque chose et vous
vous trouviez suspendus hors du temps. À une
époque je découpais des tas
d'articles et de photos sur le monde hippique et
j'en remplissais des albums entiers. Personne n'en
savait rien. Et un jour où j'avais l'esprit
ailleurs, Maharajji se tourna vers moi et
m'interrogea sur les chevaux. Mon esprit cessa
immédiatement de vagabonder.
À
chaque fois que j'étais distrait, Maharajji
me prenait en flagrant délit. Ça ne
manquait jamais. Quand je relâchais un
tantinet mon attention il me recentrait
immédiatement.
Maharajji
était assis sur le tucket. Il se pencha en
avant et déposa un baiser sur la tête
de Kabir. Ce baiser affecta tous ceux qui
étaient présents. Tout le monde en
éprouva une chaleur intérieure.
Toutes les fois que Maharajji serrait quelqu'un
dans ses bras, tout le monde s'exclamait :
"Ohhhhh..."
|
DARSHAN
D'
AMOUR
Tout
l'amour, l'affection et la bonté qui
émanaient de Maharajji, un simple mortel ne
peut en offrir autant.
Comment vous
dire ce que l'on ressentait en sa présence ?
C'est comme si vous me demandiez de décrire
la saveur d'un fruit ou la fragrance d'une
rose.
Vous n'avez
jamais rencontré un être aussi
sympathique, bon, adorable. Comment ne pas l'aimer
?
Vous auriez
presque souhaité lui faire don de votre vie,
si cela avait été possible.
Un disciple
m'a demandé si Maharajji avait jamais
posé les yeux sur moi de telle sorte qu'en
captant son regard l'espace d'un instant j'eusse
tout oublié pour ne connaître que son
amour. Le disciple me dit que c'était un
moment rare et précieux quand il vous fixait
ainsi et que vous aviez beaucoup de chance si vous
pouviez supporter l'éclat de son regard sans
baisser les paupières lorsqu'il se trouvait
dans cet état-là.
D'un seul
regard ou d'un unique mouvement il pouvait vous
fouiller au tréfonds. Un rien de sa part
vous donnait parfois l'impression d'avoir le
cur transpercé, d'être mis
à nu.
Je partais le
lendemain pour le Népal. C'était le
soir et nous étions réunis à
l'arrière de l'ashram. J'avais reçu
une mise en demeure m'enjoignant de quitter le
territoire indien. Maharajji ne fit aucune allusion
à mon départ mais, à la fin du
darshan, ses yeux s'attardèrent sur moi.
C'était le regard du Guru, un regard
empreint d'une compassion absolue, universelle,
sans bornes ; d'un amour au-delà des mots.
Ça ne dura pas longtemps mais, l'espace d'un
instant, mon être tout entier baigna en lui.
Et j'en fus rempli de... comment dire au
juste ? chagrin ou regret... Ses yeux
brillaient d'une compassion infinie et même
si ce regard fut de courte durée sa
puissance me parvient toujours, en particulier aux
moments les plus difficiles.
Je n'avais pas
plus de seize ans quand j'ai fait la connaissance
de Maharajji. C'était à l'occasion
d'une bhandara [fête] et il y avait
affluence. Quand je l'ai rencontré j'ai
été comblée de bhava, comme
transportée d'amour divin. Maharajji me
demanda de servir les dévots qui assistaient
à la bhandara. Ça faisait beaucoup de
monde et nous avons travaillé des heures et
des heures d'affilée, mais ce que j'ai
éprouvé alors ne m'a jamais
quitté.
Lorsqu'on
demanda à un homme ce qui s'était
passé lors de son premier contact avec
Maharajji, il répondit : "Les mots sont
impuissants à traduire pareil
phénomène. Il faut le vivre. L'amour,
l'affection, la compassion, la grâce de le
connaître..."
|
PARLER
PENDANT
LE
DARSHAN
Pendant
les darshan il parlait, parlait sans retenue,
à tort et à travers. S'il injuriait
quelqu'un, il criait tant et plus et
déblatérait indéfiniment. Mais
il entendait tout. Quelle intoxication ! Il avait
un comportement vraiment hors du sens commun. On
aurait vraiment dit un anormal qui racontait des
sornettes, débitait toutes sortes
d'extravagances et lançait aux gens des
sottises.
Mais qu'est-ce qui vous poussait à rester
là ? Vous perdiez la notion de l'espace et
du temps. Vous ne vous demandiez jamais où
vous étiez et pourquoi vous étiez
là. Les jours et les mois passés avec
lui vous paraissaient des minutes. Il m'arrivait de
ne pas m'apercevoir que je n'avais pas mangé
ou dormi depuis des jours et il me faisait faire
des choses que je n'aurais jamais faites en temps
normal. Si je voulais le quitter, il me faisait
rester ; si je souhaitais rester un soir de plus,
il me forçait à m'en aller.
C'était
un vrai moulin à paroles, comme un enfant.
Il n'arrêtait pas un instant, sur tous les
sujets. La plus grande partie de ces propos
n'était pas traduite. On se serait cru
à la projection d'un beau film
étranger en version originale où vous
n'avez pas vraiment besoin des sous-titres
!
Parfois il ne
disait une chose qu'une fois. Et si vous la
laissiez passer c'était trop tard, elle
était perdue.
À
Vrindaban, une Occidentale se tenait assise devant
la murti [statue consacrée]
d'Hanuman. Elle mourait d'envie de voir Maharajji,
mais, en ce temps-là, il refusait son
darshan aux Occidentaux. Elle était donc
assise, tête penchée, occupée
à chanter un kirtan. Il y eut soudain un
grand émoi. Elle leva les yeux et
découvrit Maharajji. Planté là
devant elle, il arborait son si beau sourire. Elle
fut enchantée de le voir incliner la
tête sur le côté avant de
s'exclamer, en anglais : "C'est trop !"
Plusieurs
Occidentaux se rappellent qu'au "hit-parade" des
expressions anglaises de Maharajji figuraient,
entre autres : coconut [noix de coco] ;
right face [bon visage] ; quick
[vite] ; march [tambour battant] !
; left [gauche] ; right [droite] ;
go [va-t-en] ! ; sit down
[assois-toi] ; bus has come [autocar
est là], sometimes [parfois] ;
damn fool [espèce d'imbécile]
; commander-in-chief [commandant en chef] ;
thank you [merci] ; stand up
[lève-toi] ; water
[eau].
Avec Maharajji
vous parliez de ce dont il voulait parler. Si vous
choisissiez le sujet de conversation, il faisait
semblant de ne pas avoir entendu ou passait
à autre chose.
Autour de
Maharajji il n'y avait de conversation qu'avec
lui.
Maharajji
semblait accorder beaucoup d'importance aux
à-côtés, aux choses qui
n'avaient apparemment aucun rapport avec le
sujet.
Maharajji
parlait à un tel, en frappait un autre, et
seul saisissait celui qui était censé
comprendre.
Maharajji
s'intéressait énormément
à tout comme n'importe qui. C'était
un homme sans prétentions ; pourtant,
personne ne pouvait le mener en bateau.
Avec les Occidentaux la conversation comportait
habituellement une série de petites
saynètes. Pour nombre d'entre eux, Maharajji
mit au point des numéros particuliers et,
jour après jour, l'individu concerné
était appelé sur le devant de la
scène pour participer au même
dialogue. À une jeune femme il posait chaque
jour les mêmes questions : "Comment sont les
femmes en Inde ? Pourquoi sont-elles gentilles
?"
Et, chaque jour, elle donnait la même
réponse : "Parce qu'elles sont
dévouées à leurs maris."
À une autre il demandait sans se lasser :
"Vas-tu te marier ?"
À quoi la personne interrogée
répondait toujours : "Maharajji, comment
pourrais-je épouser qui que ce soit ? Je
suis tellement bonne à rien."
À un autre il lançait : "Comment
t'appelles-tu ?"
"Chaitanya Maha Prabhu", nom d'un grand saint
indien que Maharajji répétait
à son tour, hochant la tête en
connaisseur.
Il nous avait tous formés à donner
des représentations. Sur ce
théâtre qu'il nous faisait jouer, un
disciple fit ce commentaire : "Maharajji avait son
zoo et nous y étions tous
pensionnaires."
Et puis il y eut arti, la cérémonie
de la lumière en l'honneur du Guru. On agite
une flamme devant lui et ce geste rituel
s'accompagne d'une psalmodie qui scande les
nombreuses qualités du Guru. Sous la tutelle
de K. K. Sah [l'un des plus anciens
dévots indiens], nous avions appris le
chant sanskrit dans son intégralité
ainsi que le cérémonial de
façon à "étonner" Maharajji.
Quand nous finîmes par exécuter
l'arti, Maharajji fut apparemment si
enchanté qu'il nous fit recommencer maintes
et maintes fois, même si, pendant que nous
chantions, il ne cessait de parler à l'un ou
à l'autre de ses voisins. Et, chaque fois
qu'un nouveau groupe de dévots indiens
venait présenter ses respects, on nous
tirait des profondeurs de l'ashram pour nous placer
en première ligne afin de montrer à
quel point les Occidentaux étaient des
êtres spirituels. Ces innombrables petits
concerts nous apprirent beaucoup. À
l'origine nous avions voulu plaire à
Maharajji et l'impressionner. Au fil des
répétitions la
cérémonie s'affina. Au bout du compte
nous découvrîmes qu'un rituel peut
s'enrichir, s'animer d'une vie propre et
générer une énergie
spirituelle indépendante de la raison
spécifique pour laquelle on l'exécute
à un moment donné.
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de la page
RÉPRIMANDES
ET
ESPIÈGLERIES
PENDANT
LE
DARSHAN
À
quatre-vingts ans, l'un des disciples de Maharajji
était aussi alerte qu'un chamois. Un jour il
vint à son darshan alors qu'un de ses jeunes
parents éloignés s'y trouvait aussi.
Ce dernier s'inclina devant son aîné
mais tarda à se relever. Maharajji se tourna
alors vers le vieux disciple : "Si tu avais de
l'argent, il se relèverait plus vite pour te
toucher les pieds !"
Une
dévote arriva un jour au darshan vêtue
d'un sari de grand prix tout neuf. Maharajji lui
dit : "Tu sais, Ma, je suis allé chez des
riches. Ils portaient des vêtements propres
et nets mais si simples qu'on aurait pu les prendre
pour des pauvres gens."
Un soir,
Maharajji se tenait accroupi dans une rue sale
quand sont arrivés des gens "importants"
poètes, juges, notables. Après
qu'ils se furent assemblés autour de lui il
leur demanda : "Pourquoi ne vous asseyez-vous pas
?" Après quelque hésitation ils
finirent par s'asseoir par terre. Alors Maharajji
se leva aussitôt : "Allez, on s'en va
!"
J'avais
acheté des pommes à Mathura que
j'avais l'intention de présenter à
Maharajji comme prasad [une offrande, souvent
de nourriture, qui devenait alors sacrée,
une fois acceptée par Maharajji]. Elles
coûtaient cher et je les avais choisies avec
soin. Quand je les lui offris, Maharajji me dit :
"Mets-les de côté, je les mangerai
plus tard." Je ne voulus pas obtempérer
à cause de ma fierté et j'entrepris
donc d'éplucher la première, qui
était pourrie ; la deuxième, la
troisième et la quatrième
l'étaient aussi. Maharajji posa alors son
regard sur moi : "Je t'avais dit de les mettre de
côté." Je découvris plus tard
que les cinq autres étaient parfaitement
saines.
Je travaillais
à Agra et, chaque fois que Maharajji venait
à Vrindaban, je lui faisais en prasad une
offrande d'une valeur de dix ou quinze roupies. Je
voyais les autres venir avec tellement plus qu'un
dimanche je me sentis tout piteux de lui apporter
si peu. Le lundi matin j'attendais de pouvoir lui
toucher les pieds avant de me rendre au travail et
je me disais : "Étant donné mes
moyens limités, mes dix roupies
équivalent aux dix mille de certains."
À cet instant précis Maharajji sortit
de sa chambre en lançant : "Ça ne
manque pas les gens bizarres. Il y en a qui
viennent avec dix roupies et affirment m'en offrir
dix mille."
Il y avait une
expression qu'il ne me laissa jamais prendre avec
mon appareil photo. Il se tenait assis normalement
et, tout à coup, il se redressait et vous
fixait, les yeux grands ouverts brillant d'un
éclat intense. Pendant des mois je tentai de
saisir cette expression. Je prenais bien une photo,
mais, le temps qu'il me fallait pour avancer la
pellicule, il reprenait une attitude normale et
pouffait ou s'esclaffait franchement. Il souriait
de plaisir, ravi de mon air dépité.
[Comme je regrettais de ne pas avoir de
déclencheur automatique !]
Un jour il
s'approcha de moi, me prit ma canne de bambou et se
lança dans un numéro à la
Charlie Chaplin. Il la tendit à bout de bras
et la rapprocha comme un grand singe qui
découvre un objet pour la première
fois. Il se mit à jouer avec en la tournant
dans tous les sens ; puis finit par la jeter avant
de s'éloigner sur la route ! C'est ainsi que
s'acheva ce darshan ! J'avais été
l'unique témoin de cette
scène.
Un matin le
charbon s'était complètement
affaissé. Pour relancer le feu ont avait
ajouté un tas de bois par-dessus et, bien
sûr, au lieu de prendre, le bois se mit
à fumer. Maharajji demanda donc de verser du
pétrole dans le brasero, mais sans
résultat. De gros nuages de fumée
s'élevaient du bassin de métal.
Maharajji s'était penché en avant
pour regarder et, tout à coup, une
déflagration : POH ! Les flammes bondirent
jusqu'au toit. Maharajji recula d'un bond.
Enchanté du spectacle, il riait et tapait
dans ses mains comme un enfant. Il était aux
anges !
Un jour,
arrivé de très bonne heure à
l'ashram, je m'étais assis sous la galerie.
Un homme, qui portait un fusil, fit son apparition.
Bien sûr Maharajji lui demanda de lui
apporter son arme : "Laisse-moi voir ce fusil !"
L'homme ouvrit donc le fusil pour vérifier
qu'il n'était pas chargé. Maharajji
le prit, l'ouvrit, puis le ferma d'un coup sec et
épaula comme pour tirer. Il joua avec un
moment, l'ouvrit et le referma à plusieurs
reprises avant de le rendre à l'homme et de
lui dire de s'en aller. Après quoi il se
tourna vers moi : "À ton avis pourquoi
porte-t-il un fusil ?"
Je lui fis ma réponse habituelle : "Je ne
sais pas."
Et Maharajji me dit : "Il transporte ce fusil avec
lui parce qu'il a peur."
|
PURETÉ
DES
DARSHAN
L'hiver
1971 il commença à y avoir vraiment
beaucoup de monde et Maharajji demanda aux uns et
aux autres d'aller s'installer ailleurs. Il me dit
d'aller à Puri. Il ajouta qu'en revenant je
pourrais passer voir Goenka, instructeur bouddhiste
connu qui enseignait la méditation. Je
sentais que j'avais vraiment besoin d'apprendre
à bien pratiquer la méditation et je
me suis donc rendu à Bodh Gaya. Les quarante
jours que dura mon séjour, j'eus l'esprit
extraordinairement dégagé. Je n'avais
jamais éprouvé pareille
clarté.
Quand je revins chez Dada, Maharajji s'y trouvait.
Je ne sais si mon amour pour lui se manifestait
différemment ou si mon cur
était fermé. C'était
peut-être les deux. En tout cas
j'étais comme un observateur
détaché qui voyait un homme faire
toutes sortes de choses et je ne ressentais plus ce
lien d'amour si fort qui me reliait à lui
auparavant. S'il y avait bien clarté et
ouverture, je n'éprouvais plus ni chaleur ni
émotion. Je restai chez Dada deux ou trois
jours, espérant retrouver ce sentiment
perdu. Et je voyais tous ces gens s'ouvrir d'une
façon qui m'était refusée. Je
priai et implorai Maharajji, en vain.
Je décidai de me rendre au Sangam [lieu
saint à la confluence de trois
rivières sacrées]. Je suppliai
que mon cur s'ouvre après que je me
serais baigné et, tandis que j'étais
plongé dans l'eau, je le sentis vraiment
éclore. En remontant sur la berge je
m'aperçus que partout où je portais
mon regard tout resplendissait. Je montai dans un
pousse-pousse pour retourner chez Dada. Je me
rendis alors compte que n'avais pas de prasad et il
n'y avait pas de bazar sur le chemin. Nous
passâmes devant un walla [vendeur]
qui proposait de ces calendriers aux images
pieuses. Je regardai toutes les images mais elles
étaient vraiment trop gauches. Je
m'apprêtais à renoncer lorsqu'à
mes pieds, dans la poussière, je
découvris une exquise peinture de Ram
embrassant Hanuman. J'achetai l'image en question
et me rendis chez Dada. Il était tard et je
ne pensais donc pas que j'aurais le temps d'arriver
jusqu'à Maharajji et de lui présenter
le prasad. Mais, au moment où je franchis la
porte, un passage se dégagea qui me mena
tout droit à Maharajji. La session de
méditation et l'expérience toute
proche de Sangam m'avaient tellement ouvert que
j'offris le prasad sans mon ego. C'était
l'acte le plus pur que j'avais jamais accompli
auprès de Maharajji. Il se passait quelque
chose mais je n'en étais pas l'"auteur". Je
posai l'image sur le tucket et m'assis par terre.
Maharajji la prit et la regarda. Des larmes se
mirent à lui couler des yeux et je
commençai à pleurer moi aussi. Puis
il se leva et sortit de la pièce comme un
ouragan en donnant l'image à Dada au
passage. Quelques semaines plus tard, on put voir
cette image exposée dans le temple de
Vrindaban tout à côté de la
murti.
L'intérêt de l'histoire, c'est que
parce que j'avais été en mesure de
faire ce geste de façon
désintéressée, il avait pu
accepter pleinement mon offrande. Les autres fois
je venais avec toutes sortes de prasads mais je
souhaitais qu'il les accepte d'une certaine
façon et c'est tout juste s'il y
jetait un coup d'il. J'astiquais les pommes
des heures durant pour les faire briller, je les
tenais dans le bus en récitant des mantras :
j'essayais d'être pur. Mais, cette fois, je
n'essayai pas : la pureté était tout
simplement là.
|
TOUCHER
SES
PIEDS
"J'enlève
la poussière des pieds de lotus du Guru pour
nettoyer le miroir de mon esprit." Ainsi
débute une ode sacrée à
Hanuman. Toucher, tenir, masser les pieds du Guru a
toujours revêtu une profonde signification
dans la tradition hindoue. Car des pieds du Guru
provient l'élixir spirituel, le soma, le
nectar, l'essence du fleuve sacré qu'est le
Gange le subtil prana, ou énergie,
qui guérit et éveille. Toucher les
pieds d'un tel être n'équivaut pas
seulement à recevoir cette grâce mais
représente aussi un acte de soumission, de
reddition à Dieu, car c'est ce que le Guru
représente sur terre.
Mais pour ceux d'entre nous qui entouraient
Maharajji, les théories en rapport avec la
valeur spirituelle du contact avec les pieds du
Guru importaient vraiment peu. C'était
plutôt une singulière attraction du
cur qui nous poussait. Une Américaine
était venue des États-Unis
accompagnée de son mari. Elle se faisait du
mauvais sang pour son fils qui avait
consacré sa vie à Maharajji. C'est
son inquiétude de mère qui l'avait
incitée à entreprendre le voyage et
à séjourner quelque temps en Inde.
Voilà comment s'acheva sa visite :
Quand le moment du retour approcha je me mis
à penser au dernier darshan que j'allais
vivre. Je me rendis compte que je voulais vraiment
toucher les pieds de Maharajji. J'aurais
été bien en peine de dire pourquoi,
mais ce désir m'habitait. Je m'imaginais que
si je passais à l'acte et réalisais
mon souhait mon mari en serait contrarié,
mais je me disais : "Que ça le gêne si
ça doit le gêner, je vais le faire
comme j'en ai l'intention." Et à mon dernier
darshan je touchai les pieds de Maharajji.
À mon grand étonnement mon
époux fit de même !
Après
ma première rencontre avec Maharajji je me
souviens parfaitement que mon dédain et mon
arrogance s'étaient effacés devant le
désir extraordinairement puissant de me
trouver littéralement à ses pieds.
C'est lors de ma deuxième ou peut-être
troisième visite que l'occasion se
présenta. Je considérais mon voisin.
L'expression de son visage donnait à penser
qu'il était traversé de vagues de
félicité et, en l'observant du coin
de l'il, je me sentais jaloux. Nous
étions installés côte à
côte en tailleur devant une grande table en
bois massif dont le plateau nous arrivait à
la poitrine. L'homme, directeur d'école dans
la région, approchait probablement de la
soixantaine. Vêtu d'un costume de grosse
laine, il portait une cravate, un cache-col et,
comme la plupart des hommes de ce pays de moyenne
montagne en cette fin novembre, un bonnet. Il avait
laissé ses chaussures à
l'entrée du temple et était en
chaussettes. Devant nous, assis en tailleur sur la
table se tenait Maharajji, emmitouflé dans
un plaid aux couleurs vives d'où ne
dépassaient que sa tête ainsi qu'un
pied nu en dessous. C'est celui-ci qui était
tout à la fois source de ravissement et de
jalousie, car l'homme le massait avec une grande
tendresse et un amour considérable, et je
brûlais de prendre sa place. Cela me faisait
vraiment drôle de me retrouver assis dans un
minuscule temple hindou aux antipodes de chez moi,
jaloux de ne pouvoir masser le pied d'un vieil
homme !
Alors que j'étais perdu dans mes
réflexions, Maharajji s'entretenait avec
divers membres de ce groupe d'une vingtaine de
personnes rassemblées dans cette petite
pièce à l'arrière de
l'enceinte du temple. Il parlait en hindi, que je
ne comprenais pas, mais il avait l'air d'interroger
l'un, de réprimander l'autre, de plaisanter
avec un troisième, de donner des
instructions à un quatrième. Au
milieu de ces conversations je le vis se
déplacer imperceptiblement et son autre pied
apparut de dessous le plaid juste devant moi.
J'imaginais que seuls ceux qui le connaissaient
depuis un certain temps étaient
autorisés à lui masser les pieds
et je venais d'arriver mais je
décidai que l'on ne pourrait pas me
reprocher de ne pas avoir essayé. Mes mains
s'élevèrent donc lentement jusqu'au
pied que j'entrepris de masser. Mais, loin
d'être traversé de vagues de
ravissement, mon esprit était taraudé
par le doute et la confusion quant à la
façon de procéder : fallait-il que je
me serve de mes doigts ou de mes paumes ? Tout
aussi rapidement que le pied était apparu il
me fut retiré et disparut sous la
couverture. Je m'en voulais
énormément et, intérieurement,
j'incriminais mon impureté.
La visite se poursuivait et, au fil des minutes,
Maharajji tirait ma gêne et ma gaucherie dans
un espace pour moi inconnu. Je subissais des vagues
de confusion et mon trouble confinait maintenant
à l'hystérie. C'est alors que le pied
réapparut sous mes yeux. Et, à
nouveau, je tendis la main pour le prendre. Mais
cette fois mon esprit était trop
submergé pour analyser la procédure
à suivre. Je me contentai d'agripper ce pied
comme un naufragé sur le point de sombrer
s'accroche à une bouée de
sauvetage. [R.D.]
Je me souviens
d'un moment particulier à Kainchi.
J'étais assis devant le tucket de Maharajji,
occupé à lui masser les pieds depuis
un temps considérable et me demandant si
j'étais suffisamment pur pour faire une
chose pareille. Puis je dépassai le stade
des pensées, m'enfonçant plus avant
dans cet amour et, finalement, je ne
m'inquiétai même plus du massage des
pieds de Maharajji ni même de mon amour pour
lui. À présent je "baignais" dans ses
pieds !
Sita
s'asseyait toujours à ma droite et, en bon
lion avide et odieux, je poussais les autres pour
arriver au premier rang et me précipiter sur
le pied de Maharajji. Sita n'avait d'yeux que pour
ce pied-là ; il fallait donc livrer bataille
et jouer des coudes. Elle me lançait :
"Va-t-en, ce n'est pas ta place !" Et elle me
bloquait brutalement avec son épaule. Pour
sa part, Maharajji donnait son pied tantôt
à l'un tantôt à
l'autre.
Je lui
touchais très rarement les pieds parce que
j'avais le sentiment qu'il était trop
pur.
Qu'est-ce qui nous fascinait tant dans les darshan,
les multiples niveaux et les nombreux changements,
les moments d'éternité ou,
peut-être, l'intimité et l'amour ?
Etaient-ce ses paroles, ses remontrances, son
humour, la pureté ? Ou peut-être
même le fait de lui masser les pieds ? Ou
bien était-ce tout à la fois... ou
rien de tout cela ? La relation qui nous liait
à lui était peut-être de nature
subjective au-delà de notre
expérience dualiste. Maharajji, qui
êtes-vous ? Etes-vous autre que
nous-mêmes ?
Il n'y a pas de réponse. En fait il n'y a
pas de question non plus mais seulement le darshan,
qui est grâce.
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