Papaji
: L'éveil est la connaissance même
et non le savoir qui con cerne les gens, les
choses, les idées. Uniquement connaissance.
L'illumination est là quand n'existent ni
les images du passé, ni l'imagination du
futur ni même une idée concernant le
présent.
Jeff : Je ne puis imaginer un état
sans imagination.
Papaji : Voilà ce qu'on appelle
servitude. Cela s'appelle souffrance, samsara. Je
vous dis : "N'imaginez pas. En cet instant
précis, n'ayez aucune imagination." Lorsque
vous imaginez, vous construisez des images et
toutes les images appartiennent au passé. Ne
rappelez pas le passé et n'aspirez à
rien du futur. Alors l'imagination s'en va, elle
n'est plus dans le mental. Tout ce qui appartient
au mental vient du passé.
Jeff : Vous me dites de ne penser à
rien et c'est comme si vous me disiez de ne pas
penser à un hippopotame : la première
pensée qui me vient à l'esprit est,
naturellement, celle d'un hippopotame.
Papaji : Je ne vous demande pas de penser
à quoi que ce soit. Ce que je vous dis c'est
: n'imaginez rien qui appartienne au passé,
au présent et au futur. Lorsque vous
êtes libéré de toute
imagination, vous êtes également
libéré du temps, parce que n'importe
quelle image vous ramène dans le temps et
vous main tient dans sa structure. Dans
l'état de veille vous voyez des images de
personnes, d'objets, d'idées. Elles
s'évanouissent toutes dans le sommeil.
À présent, que deviennent toutes ces
images lorsque vous dormez ? Où sont les
personnes, les objets ?
Jeff : Ils sont toujours là. Ils ne
s'en vont pas quand je dors.
Papaji : Vous êtes en train de
décrire l'état de rêve. Je
parle de l'état de sommeil. Je vais vous
expliquer : À quelle heure vous
endormez-vous ?
Jeff : Le soir vers onze heures trente.
Papaji : Pensez à la dernière
seconde, à celle qui suit 11 heures, 29
minutes, 59 secondes. Que se passe-t-il en cette
ultime seconde ? La soixantième seconde
appartient-elle au sommeil ou à
l'état de veille ?
Jeff : C'est une zone entre les deux, ni ici
ni là.
Papaji : Parlons maintenant de la seconde
suivante. La soixantième seconde est
déjà partie. Vous venez juste de dire
"ici" et "là". Où sont "ici" et
"là" en ce premier instant du sommeil ? En
cet instant vous rejetez tout : toutes les images,
tous les objets, toutes les personnes, toutes les
relations. Toutes les idées sont parties
à l'instant de votre saut dans le sommeil,
après cette soixantième seconde
où n'existent ni temps, ni espace, ni pays.
Nous parlons en ce moment du sommeil. À
présent, alors que vous êtes
réveillé, décrivez-moi ce qui
s'est passé pendant que vous dormiez.
Jeff : Il y avait le rêve.
Papaji : Je parle du sommeil profond, pas du
rêve. Rêver est similaire à
l'état présent dans lequel vous voyez
ce qui est ici, en face de vous. Quand vous
rêvez qu'un voleur vous a volé ou
qu'un tigre vous bondit dessus, vous vivez la
même frayeur que lorsque vous êtes
réveillé. Que voyez-vous lorsque vous
dormez ?
Jeff : Rien.
Papaji : C'est la bonne réponse.
À présent, pourquoi rejetez-vous tout
ce que vous aimez tant au monde, simplement pour
vous offrir à cet état de
néant ?
Jeff : Parce que je suis fatigué.
Papaji : Pour reprendre des forces, vous
vous rendez au réservoir d'énergie,
à cet état de néant. Que vous
arrivera-t-il si vous ne touchez pas à ce
réservoir, où irez-vous ?
Jeff : Je deviendrai fou !
Papaji : Fou, en effet. Je vais maintenant
vous dire comment demeurer sans cesse dans cet
état de sommeil, de néant, même
lorsque vous êtes réveillé. Je
vais également vous dire comment être
éveillé alors que votre corps dort.
Ce sera le bonheur, n'est-ce pas ?
Parlons de la fin de la dernière seconde
précédant votre sortie du sommeil.
Bien que le sommeil soit sur le point de se
terminer, vous n'êtes pas encore
réveillé. Maintenant, que vivez-vous
au tout premier instant de votre nouvel état
de veille ?
Jeff : Mes sens me rappellent au monde.
Papaji : O.K. Maintenant dites-moi ce qu'est
devenue la joie qui était présente
dans votre sommeil ? Qu'avez-vous rapporté
de vos heures passées dans le néant
?
Jeff : Elles ne sont plus. Je suis
reposé, détendu.
Papaji : Alors, préférez-vous
la tension de l'état de veille à la
détente du sommeil ?
Jeff : J'ai une question pour plus tard
à ce sujet.
Papaji : Si vous compreniez ce que j'essaie
de vous communiquer, vous ne me poseriez
probablement pas la question suivante. Imaginez que
vous venez juste de sortir d'une longue
séance de cinéma. De retour chez
vous, que répondrez-vous à vos amis
s'ils vous demandent si le film vous a plu ?
Jeff : Que c'était un très
beau spectacle.
Papaji : Dans ce cas vous pouvez leur
transmettre le souvenir des images, mais vous ne
rapportez rien de votre sommeil. Qui s'est
réveillé ? Qui s'est
réveillé de cet état de
bonheur ? Vous étiez heureux lorsque vous
dormiez. Si le sommeil n'était pas un
état heureux, personne ne souhaiterait une
bonne nuit à ses proches avant de se
coucher. Quel que soit votre degré de
parenté avec eux, vous leur dites chaque
soir : "Laissez-moi dormir, bonne nuit."
Etre seul est quelque chose de supérieur, de
plus élevé, de plus beau. Posez-vous
la Jeff : Quand je me réveille, qui se
réveille ?
À votre réveil, il ne vous reste rien
de l'impression de bonheur dont vous avez
profité pendant six ou sept heures d'un
sommeil sans rêve. Vous ne pouvez emporter
que les impressions qui vous restent des danses que
vous avez vues dans vos rêves.
Vous devez créer une nouvelle habitude, une
habitude qui ne peut être créée
que dans le satsang. Lorsque vous étiez
jeune, vos parents vous emmenaient au
théâtre. Grâce à ces
sorties, vous avez appris à décrire
les impressions perçues par vos sens et
à les apprécier. Mais vos parents ne
pouvaient pas vous dire ou vous enseigner ce qui se
passe lorsque vous êtes libéré
des sens. Cette connaissance ne peut être
révélée que dans le satsang et
c'est la raison de votre venue ici. Je vous
répète donc ma Jeff : Qui se
réveille lorsque vous vous réveillez
?
Jeff : C'est le "je" qui se
réveille.
Papaji : Oui, le "je" s'est
réveillé. Quand le "je" se
réveille, le passé, le présent
et le futur se réveillent aussi. Ce qui
signifie que le temps et l'espace se
réveillent également et avec eux, le
soleil, la lune, les étoiles, les montagnes,
les rivières, les forêts, les gens,
les oiseaux et tous les animaux. Quand le "je" se
réveille, tout le reste se réveille.
Pendant que ce "je" dormait, pendant cet
état de sommeil, tout était
tranquille. Si vous ne touchez pas ce "je" qui
s'est réveillé, vous connaîtrez
le bonheur de dormir alors que vous êtes
éveillé. Faites-le pendant juste une
seconde, une demi seconde, un quart de seconde. Ne
touchez pas le "je". Nous pouvons très bien
nous permettre d'être sans le "je". Ne
touchez pas le "je" et dites-moi si vous ne dormez
pas.
Jeff : C'est exact. À cet instant
tout semble être un rêve.
Papaji : Ceci s'appelle être
éveillé tandis qu'on dort et dormir
tandis qu'on est éveillé. Vous
êtes toujours heureux, sans cesse
éveillé. Cet éveil se nomme
connaissance, liberté, vérité.
Toutefois, ne touchez pas aux noms.
Débarrassez-vous de tous les mots que vous
avez jusqu'à présent entendus de
toutes parts. Et vous verrez qui vous êtes
vraiment.
[silence]
À présent ne dormez pas !
Jeff : Papaji, j'habite près d'un
garage, non loin de votre domicile. Il me semble
parfois que le seul obstacle à mon
progrès spirituel soit le vacarme des
ouvriers frappant sur les voitures. Comment peut-on
demeurer tranquille alors que les sens s'abreuvent
continuellement à l'environnement ? C'est
leur travail, après tout.
Papaji : Un enfant qui apprend à
marcher est aidé par ses parents. Lorsqu'il
a grandi et qu'il a appris à marcher seul,
il n'a plus besoin d'eux. Ainsi, si vous trouvez
qu'au début vous êtes
dérangé en méditant, il vaut
mieux que vous changiez d'environnement. Je vais
vous donner un conseil : lorsque vous choisissez
une maison ou un environnement de vie, vous devez
en premier lieu examiner le voisinage. Est-il plein
d'ordures et de cochons ? De gens bruyants ? Y
a-t-il un marché aux poissons, un
supermarché ? Au début, vous devez
éviter toutes ces choses en vous rendant par
exemple en forêt pour méditer. Mais
lorsque vous aurez appris l'art de méditer,
vous pourrez vous asseoir au beau milieu d'un
marché aux poissons ou dans les rues les
plus animées de Lucknow. Une fois l'art de
méditer maîtrisé, vous
n'entendrez plus de bruit. Vous n'entendrez plus
rien. Lorsque vous méditerez
réellement, vous serez dans le même
état que lorsque vous dormez. Mais vous
serez éveillé en même temps.
C'est ce qu'on appelle dormir tout en étant
éveillé. Jusqu'à ce que vous
connaissiez ceci, il vaut mieux que vous
évitiez les environnements
désagréables. Examinez votre
voisinage avant d'emménager. Il doit
être approprié. Le voisinage est
même plus important que l'appartement.
Trouvez des personnes dont le style de vie est
semblable au vôtre. Les enseignants aiment
être avec des enseignants, les philosophes
avec des philosophes, les ouvriers avec leurs
compagnons ouvriers. Ils apprécient beaucoup
d'être les uns avec les autres. Mais une fois
que vous avez appris l'art de la méditation
véritable, vous pouvez faire ce que vous
voulez où vous voulez.
Jeff : Qu'est-ce que la méditation
pour vous ? Les gens pratiquent des
méditations de toutes sortes. Beaucoup
d'entre eux se basent sur l'observation des
phénomènes, comme la respiration ou
voir les pensées s'élever et
retomber.
Papaji : Ce dont vous parlez ne concerne pas
la méditation, mais la concentration. La
méditation n'a lieu qu'en l'absence de
concentration sur un objet, quel qu'il soit. Il y a
méditation lorsqu'on parvient à
n'introduire aucun objet du passé dans le
mental, à ne pas en faire usage. Si vous
faites usage du mental, ce n'est plus de la
méditation, mais de la concentration. Le
mental ne fera jamais que s'accrocher à un
objet du passé. Vous a-t-on jamais dit de
méditer sans le concours du mental ?
Jeff : C'est une question difficile. La
plupart des méditations que j'ai
pratiquées impliquaient des techniques qui
ont pour objet les pensées. Mais l'objet
véritable de la méditation semble
être un état sans pensée, un
état dans lequel aucune pensée
n'apparaît.
Papaji : Oui, c'est ce qu'on nomme
méditation, lorsqu'aucune pensée
n'apparaît.
Jeff : Mais des pensées surgissent,
c'est inévitable. Comment agir sur elles
?
Papaji : Je vais vous le dire. Je pense que
vous pouvez me consacrer un instant
équivalent à un claquement de doigt.
C'est tout le temps qu'il me faut pour
arrêter vos pensées. Qu'est-ce qu'une
pensée ? Qu'est-ce que le mental ? Il
n'existe pas de différence entre la
pensée et le mental. Les pensées
prennent naissance dans le mental, lequel est un
paquet de pensées. Sans pensée, le
mental n'a pas d'existence. Qu'est-ce que le mental
? C'est le "je", c'est le passé. Le mental
s'accroche au passé, au présent, au
futur, au temps, aux objets. Voilà ce qu'on
nomme le mental. Maintenant, où prend-il
naissance ? Quand le "je" prend naissance, le
mental naît, les sens naissent, le monde
prend naissance. Découvrez à
présent où le "je" prend naissance et
dites-moi si vous n'êtes pas tranquille.
Faites-le, et communiquez-moi vos observations.
Jeff : Je vous écoute parler.
Papaji : Après ça. Nous en
sommes à l'identité entre le mental
et "je", le mental naissant de "je". Quand "je"
surgit, le mental surgit. C'est ce qui se passe
lors du passage du sommeil au réveil.
Découvrez maintenant le réservoir,
cet endroit d'où surgit "je". D'où
"je" surgit-il ?
Jeff : C'est le nom.
Papaji : Attendez, attendez ! Vous ne suivez
pas. Je vais répéter à
nouveau. Supposons qu'il y ait un canal venant d'un
réservoir, vous pouvez le remonter jusqu'au
réservoir. Ce que je dis c'est de suivre la
pensée "je" d'une manière similaire.
D'où surgit-elle ? Je vais vous
préciser comment faire, comment trouver la
réponse. Pour cela il n'est pas besoin de
boxer comme Mohammed Ali. C'est très simple.
Se connaître soi-même est aussi simple
que de caresser un pétale de rose. Cette
connaissance, ou réalisation, est aussi
simple qu'un pétale de rose entre vos
doigts. Ce n'est pas difficile du tout. Les
difficultés surgissent seulement lorsque
vous faites un effort. Vous n'avez donc pas
d'effort à faire pour aller au
réservoir qui est la source de "je". Ne
faites aucun effort et ne pensez pas non plus.
Rejetez l'effort et rejetez la pensée ;
autrement dit, rejetez la pensée "je" et
toute espèce d'effort.
Jeff
: Je sens cela comme un météore
contournant l'atmosphère. Il brille un court
instant puis disparaît dans l'espace. C'est
comme l'étincelle d'une flamme qui luit un
instant, puis l'obscurité de "je" revient
à nouveau.
Papaji : Ne dites pas "à nouveau".
Pour dire "à nouveau" vous devez retourner
au passé. "À nouveau" c'est le
passé. Je vous dis de vous
débarrasser de ce "je". Ne faites pas
d'effort et demeurez sans pensée pendant
seulement une seconde. Même la moitié
d'une seconde, ou le quart d'une seconde suffit.
Mon cher Jeff, vous ne vous êtes pas
consacré autant de temps en trente cinq
millions d'années ! Ici-maintenant c'est le
bon moment pour cela.
Jeff : Il m'est impossible de ne pas faire
d'effort. Le sentiment d'essayer est toujours
présent. Il y a une attente, une intention
d'essayer qui est toujours là.
Papaji : Cet "acte de faire" vous a
été enseigné par vos parents,
par vos prêtres, par vos professeurs, par vos
prédicateurs. À présent, au
lieu de cela, restez tranquille pendant un quart de
seconde et voyez ce qui se passe. Vous avez
hérité de cet "acte de faire" de vos
parents : "Fais ceci, fais cela." Vous êtes
allé voir un prêtre et il vous a dit :
"Faites ceci et ne faites pas cela." Puis vous avez
entendu la même chose dans la
société autour de vous et partout
ailleurs. Je vous dis de vous débarrasser
à la fois de "faire" et de "ne pas faire".
Lorsque vous vous prêtez à "faire",
vous vous replongez dans le monde de vos parents.
Vous l'avez appris tout d'abord de votre
mère. Lorsqu'à table vous ne teniez
pas correctement votre cuiller ou votre fourchette,
elle vous donnait une claque et disait : "Ne fais
pas ça !" "Faire" et "ne pas faire" vinrent
d'elle en premier, puis du prêtre qui vous a
dit : "Vous devez allez à cette
église là, et pas à une autre.
Si vous le faites, vous irez au paradis, sinon vous
irez en enfer. Vous êtes un
pécheur."
Je vous dis de vous débarrasser à la
fois de "faire" et de "ne pas faire".
Goûtez-y au moins. Vous avez
déjà le goût de l'acte de
faire. Six milliards d'individus sur terre
goûtent tous à l'acte de faire, et
quel en est le résultat ? N'est-ce pas ce
résultat que nous avons pu voir
récemment dans le Golfe Persique ? Nous
avons aussi vu trois guerres ici. Cet acte de faire
a pour résultat la haine entre les hommes et
de nombreuses tueries. Voyons plutôt ce qui
peut être fait sans l'acte de faire. Dans le
non faire l'amour est présent et non la
haine. Laissez cet amour fleurir à nouveau
sur terre, comme il a fleuri à
l'époque du Bouddha et d'Ashoka.
Jeff : Papaji, en vous appelant ainsi, je
vous place dans un rôle parental. Cela semble
un peu gênant.
Papaji : Ce parent vous dit : "Ne faites
aucun effort." Ecoutez ce Papaji, écoutez ne
serait-ce qu'un mot de lui. Si vous ne
l'écoutez pas, vous aurez beaucoup d'autres
"Papaji" pendant encore trente-cinq millions
d'années !
Jeff : Je suis écrivain et pour moi
écrire est tout à fait naturel. Des
gens viennent me consulter à ce sujet et je
leur dis : "Cela se fait tout naturellement.
Ecrivez simplement comme vous parlez, rien n'est
plus facile." Mais ils n'y arrivent pas. Ils
doivent faire des efforts pour y parvenir. Papaji,
vous avez vécu spontanément votre
éveil d'une façon absolument
naturelle à l'âge de huit ans.
Pourquoi êtes-vous si sûr que ce sera
aussi facile et aussi naturel pour nous autres qui
avons essayé sans succès pendant
trente-cinq millions d'années ?
Papaji : J'ai dû y consacrer autant de
temps. Je le sais, car j'ai vu beaucoup de mes vies
passées. Le Bouddha a également dit
avoir vécu de très nombreuses
incarnations à essayer de s'éveiller.
Il les connaissait aussi très bien. Il se
souvenait très clairement d'une
légère erreur qu'il avait faite 253
incarnations aupara vant. Lui aussi a passé
beaucoup de temps à "faire".
Vous m'avez posé une question directe. Je ne
sais pas ce qui a occasionné mon
éveil. Ce fut tout à fait
spontané. Je n'avais pas d'acquis, je ne
faisais pas de méditation et je n'avais lu
aucun livre à ce sujet. J'étais au
Pakistan et de tels livres n'étaient pas
disponibles pour moi : la plupart étaient
écrits en sanscrit et je n'avais
étudié que le persan. Je ne sais pas
comment cela m'arriva. Cela m'a peut-être
choisi. La vérité se
révèle aux innocents. À cette
époque je n'avais aucune qualification,
j'étais sans instruction, je n'avais que
huit ans et je fréquentais l'école
primaire. Ce que j'ai vu alors, je le vois
toujours. Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est
? Qu'est-ce que c'est ? J'en suis de plus en plus
épris à chaque instant qui passe.
Jeff : Je me suis toujours demandé ce
que cela aurait été de vivre à
l'époque du Bouddha et de s'asseoir à
ses pieds. Ici avec vous, je sens que je connais la
réponse à cette question.
Papaji : Vous avez dû être avec
lui, autrement vous ne seriez jamais venu ici et
vous n'auriez pas posé ces questions. Qu'en
est-il des autres, les six milliards d'êtres
humains ? Pourquoi ne viennent-ils pas au satsang ?
Qu'en est-il de vos voisins, de vos parents, de
votre entourage ? Pourquoi vous seulement ? Vous
avez été choisi pour cela.
Quand vous le saurez, vous aurez
instantanément la connaissance. À cet
instant vous saurez que rien n'est jamais
arrivé auparavant et que rien n'arrivera
à l'avenir. À un moment donné
vous avez pensé être prisonnier.
À ce moment même, vous
découvrirez que vous êtes libre.
À l'instant de l'éveil, vous saurez
que ni la liberté, ni l'asservissement
n'existent. Vous saurez : "Je suis ce que je
suis."
Jeff : Papa, le mental peut-il participer au
processus de la réalisation de la
liberté ?
Papaji : Oui, il le peut. Le mental est
votre ennemi, mais également votre ami.
C'est votre ennemi quand il est attaché aux
objets des sens. Mais quand il aspire à
venir au satsang, ce même mental est amical.
Il vous donne la liberté.
Jeff : Dans un certain sens, c'est un grand
soulagement. Quand nous parlons de la
réalisation de la liberté, qui
réalise ?
Papaji : Ce "qui" lui-même
réalise la liberté. Le "qui" qui pose
la question est le même "qui" ressentant que
ce "qui" est actuelle ment asservi. Après
avoir connu cela, ce "qui" révélera
son unité. "Regarde, Jeff", dira-t-il, "je
suis le même" qui "qui t'a amené ici
!"
Jeff : Saint François a dit : "Ce que
vous cherchez est celui qui cherche."
Papaji : Oui, oui. Quand vous dites
simplement "Qui ?", "q-u-i", où le
trouvez-vous ? Dites-moi ? Où ? La
réponse ne viendra que si vous ajoutez
quelque chose : "Qui êtes-vous ?" Si vous
dites seulement "qui ?" qui alors vous
apparaîtra ? Dites simplement "Qui ? Qui ?
Qui ?"
Jeff : Avec tous ces "qui" je vais
bientôt me sentir devenir oiseau ! Vous dites
que la force qui nous a amenés ici, au
satsang, prendra soin de nous. Quelle est cette
force ?
Papaji : Cette force vous a amené
ici, vous fait parler, pose les questions. Elle est
maintenant devenue celui qui questionne. Cette
même force pose à présent les
questions. Et elle vous dit aussi : "Restez
tranquille !"
Jeff : [secouant la tête]
Après vous, Papaji, je pourrais interviewer
n'importe qui.
Du point de vue de la science, tout ce que nous
percevons, qu'il s'agisse d'une pomme ou de la
grâce pure, est le résultat de signaux
neuraux et de processus chimiques. Dans la
perspecti ve de la biologie, le miracle de la
conscience a une cause physique directe. Comment
pouvons-nous être certains que la conscience,
la présence, le fait d'être
éveillé, n'est pas simplement une
réaction chimique et que la
réalisation du vide n'est pas autre chose
qu'un simple apaisement des cellules du cerveau
?
Papaji : La science a fort bien
réussi dans ses recherches. Je n'ai aucune
querelle avec elle. Nous sommes au vingtième
siècle et nous avons beaucoup de chance de
profiter des bienfaits que nous procure la
recherche scientifique. Il n'est pas question de
rejeter ses découvertes. Sans elles vous
n'auriez pu venir de Californie jusqu'ici en vingt
heures à peine. Il nous faut donc les
accepter. Mais d'où vient l'intellect qui
découvre ? Des découvertes ont
apporté des précisions sur la nature
des cellules du cerveau. Cependant il reste encore
à trouver où ces cellules prennent
leur énergie. J'espère que cela sera
acquis un jour.
C'est le vide lui-même qui anime ces
cellules. Celles-ci envoient alors des signaux
partout dans le corps aux milliards et trillions de
cellules qui activent les pensées, les
mouvements des membres, les sens, le mental, etc.
C'est la création. À l'origine est le
vide. Le vide anime les cellules, lesquelles font
alors fonctionner l'intellect et le mental. Puis,
dès que le mental est là, le corps,
les sens et les objets qu'ils perçoivent
surgissent. Toutes ces perceptions sont
enregistrées à travers les
cellules.
Chaque cellule vous donne une nouvelle incarnation.
Chaque cellule. Car ce que vous désirez
entrera directement dans les cellules et y
demeurera caché. Ces désirs
émergeront au moment approprié et se
réincarneront dans d'autres cellules,
elles-mêmes réincarnées, et
deviendront le mental.
Votre question était : Le vide n'est
peut-être qu'un processus chimique survenant
dans le cerveau. Mais qui est conscient de ce
processus ? Une force supérieure, plus
subtile que les cellules, est consciente de ce qui
leur arrive. Elle est consciente. Quelle est cette
force ?
Jeff : La Grâce, l'atman, le contexte
plus vaste dans lequel nous existons tous sous
toutes les formes. Par cette question je
désire que vous-même et toutes les
personnes dans cette pièce comprennent que
je ressens la grâce en votre présence,
Papaji. Je ne nie pas cela, j'essaie simplement de
comprendre et d'éliminer tout doute. Ma
réponse sera donc "la grâce". Pour
moi, c'est comme une force contenant tout, et
même plus encore. C'est plus vaste que tout.
Mais cela me semble être également
quelque chose en quoi je dois croire, avoir foi. La
foi en la force suprême est-elle un
préalable nécessaire à la
liberté ? Devons-nous avoir foi en cette
force pour nous éveiller à la
liberté ? Ce que vous nous donnez exige-t-il
d'avoir la foi ?
Papaji : Le mot "foi" est utilisé par
les fondateurs des religions. Quand vous utilisez
le mot "foi" vous devez retourner au fondateur d'un
ensemble spécifique de croyances. Avoir foi
équivaut à suivre quelqu'un du
passé. Lorsque vous dites le mot "foi" vous
devez voir que votre mental va dans le
passé. Citez-moi un exemple dans lequel il
est question de "foi" qui n'appartienne pas au
passé.
Jeff : Pour moi, le mot "foi" est
associé aux religions, aux religions
mortes.
Papaji : Ce mot vous emmène aux
images du passé. "Ayez foi en tel ou tel
dieu, en cette statue ou en telle autre." Je ne dis
pas aux jeunes ici d'avoir foi en quoi que ce soit
qui vienne du passé. Je n'enseigne pas du
tout la foi. J'enseigne la connaissance. La
connaissance n'a rien à voir avec la foi. La
foi vous mène au passé, la
connaissance à l'instant présent. Il
n'existe aucune différence entre l'atman et
la grâce. Lorsque vous utilisez le mot atman
le mental ne s'accroche à aucune personne,
à aucun objet, à aucun concept. En
prononçant le mot "grâce", vous ne
devriez pas penser qu'elle provient de telle ou
telle personne, d'une image ou d'un objet. La
grâce est supérieure à
l'espace, plus élevée, plus subtile,
suprême. D'où l'espace provient-il ?
Voilà l'atman. Par quelle grâce le
soleil brille-t-il ? La clarté du soleil est
une manifestation de cette grâce, comme la
luminosité de la lune dans la nuit, la
dureté d'un rocher, la douceur d'une fleur,
le flot d'une rivière, le souffle de l'air
et les vagues de l'océan. Qu'est-ce qui meut
l'air ? Je ne parle pas du mouvement même, du
mouvement des vagues à la surface de
l'océan, je parle de ce pouvoir ultime qui
est la source du mouvement : Cela.
Jeff : C'est le mystère ultime.
Papaji : Vous pouvez nommer cela
mystère. Cet "état mystérieux"
est nommé grâce. Aucune
différence. C'est un mystère qui
demeurera toujours un mystère, un secret,
sacré, ineffable. Lorsque je vous y ai
conduit, vous ne pouviez rien me dire à son
sujet. Si cela n'avait pas été un
secret, vous m'en auriez certainement parlé,
car vous me connaissez, vous savez que je ne vous
aurais pas trompé. Mais vous ne pouviez rien
me dire de ce qui se passait en cet instant. C'est
un tel secret que deux personnes ne peuvent y aller
de front, pas même une seule, ni le corps, ni
le mental, ni les sens, ni même l'intellect
qui discrimine. Cela est Cela.
Cela fait soixante ans que j'essaie de
résoudre ce mystère, sans jamais
arriver à en percer le secret. Je suis un
homme âgé, et vous, vous êtes
très jeune, aussi, je vous en prie,
parlez-moi. Je veux voir ce secret, ce
mystère, face à face. Je veux
l'étreindre, je veux l'embrasser, car je
n'ai vu une telle beau té nulle part sur
cette planète. Je suis amoureux de
quelqu'un, mais je n'ai jamais vu le
bien-aimé.
Jeff : Comment se fait-il que je me trouve
assis comme ça à vos pieds ? Par quel
miracle ai-je été mis ici ?
Papaji : Vous avez appelé. Cette
invitation est la vôtre.
Jeff : Papaji, vous nous conseillez de ne
pas lire de livres concernant l'illumination, car
cela ne fait que créer des idées
préconçues et des attentes concernant
ce qu'on sentira, percevra et vivra au moment de
l'éveil. Qu'espérez-vous alors
communiquer à ce sujet lors d'un entretien
?
Papaji : Je ne recommande la lecture d'aucun
livre sacré ou concernant les saints.
Lorsque vous lisez un livre spirituel, vous en
appréciez probablement certains passages que
vous gardez alors en mémoire. Puis, plus
tard, vous méditez, essayant d'atteindre la
liberté. Vous voulez être libre et
vous avez à ce sujet un concept acquis dans
les livres. Quand vous méditez, cette
idée préconçue se manifeste et
vous en faites l'expérien ce. Vous oubliez
que ce dont vous faites l'expérience vient
de ce qui est emmagasiné dans votre
mémoire. Ce que vous obtenez alors est une
expérience du passé et non
l'éveil. L'expérience
véritable n'est pas celle d'un souvenir du
passé. Le mental vous trompe pendant vos
méditations. Il vous trompera et vous dupera
toujours, aussi ne vous fiez pas à lui. S'il
veut ou s'il aime quelque chose, ne
l'écoutez pas. Quoi que ce soit qu'il aime,
ne l'aimez pas. Mémoire signifie
passé. Lorsque vous méditez, vous
essayez de réaliser un projet de votre
mental : "Je dois arriver en ce lieu dont parlent
les livres." Votre expérience la plus
récente a donc été
élaborée d'avance, et c'est ce que
vous obtenez, car quoi que pense le mental, cela se
manifeste.
Lorsque vous avez une pensée de samsara, la
manifestation apparaît. C'est votre
pensée, votre vu. Voilà
pourquoi le monde se manifeste. C'est la foi que
vous avez en sa réalité qui vous le
fait paraître tellement réel.
Dès l'instant où vous saisirez que la
"Réalité" se trouve ailleurs, vous
rejetterez immédiatement le samsara. Vous
aurez alors un vécu absolument neuf,
absolument frais. Chaque instant sera nouveau. Ce
ne sera pas une expérience mentale. À
ce moment-là il n'y aura pas de mental et
vous serez absolument seul. Ceci, et uniquement
ceci, peut être nommé
"expérience", cependant je n'utiliserai plus
ce terme ici, car toutes "les expériences"
s'élaborent à partir du passé.
Ce ne sera pas véritablement une
expérience, mais une rencontre très
directe. Pour la première fois vous
rencontrerez Cela. Vous irez à sa rencontre
après avoir dénudé votre
mental, après l'avoir
dépouillé de tous ses concepts. Vous
devez vous rendre là sans vêtements.
Enlevez tous vos habits. Soyez nu.
Dénudez-vous de votre nudité
même, comprenez-vous ? La chambre de ce
bien-aimé est tellement sacrée, c'est
la seule manière d'y entrer. Si vous voulez
rencontrer votre bien-aimé, allez-y. Qui
vous arrête ? Faites-le à l'instant
même. C'est si simple. S'habiller prend du
temps. Se déshabiller est beaucoup plus
facile.
Jeff : Hier vous avez raconté
l'histoire d'un guru tellement absorbé dans
la méditation qu'il ne s'occupait pas de son
fils malade. Quelqu'un vous a interrogé sur
la responsabilité. Je souhaite
également vous poser cette Jeff : "La
liberté, est-ce être également
libre de toute responsabilité ?"
Papaji : L'homme qui m'a interrogé
à ce sujet est revenu me voir. Je lui ai dit
qu'il s'agissait là de l'histoire d'un
saint, de sa femme et de son fils. Je lui ai dit :
"N'établissez pas de rapport entre vous et
le fils, la femme ou le mari. C'est l'histoire d'un
saint homme et de son épouse. Vous devriez
devenir soit un saint, soit sa femme, ou pour le
moins leur fils, pour savoir." Il se tint alors
tranquille et se déclara satisfait.
Les responsabilités existent depuis
longtemps. Vous avez un mental et un ego qui disent
: "Ceci m'appartient et cela lui appartient."
Voilà d'où naissent les
responsabilités.
Qui est le père de toute cette
création ? Ce samsara, cette
création, était déjà
là avant votre naissance. Elle existe depuis
des millions d'années. Qui en a pris soin
pendant tout ce temps ? Vous vous êtes
chargé de vos propres
responsabilités, de vos obligations
personnelles pendant une trentaine d'années
environ. Vous ne vous en occuperez plus dans 70
ans. La durée de vos devoirs de
responsabilité, d'obligations, ne peut
excéder 100 ans. Qu'en est-il des millions
d'années qui vous ont
précédé ? Qui est responsable
des milliards d'activités qui ont eu lieu
avant votre naissance ?
Si vous acceptez d'être responsable de votre
famille, de votre fils, de votre femme, de votre
société, de votre pays et de tous les
autres dans le monde, vous devez activer votre
mental, votre corps et votre intellect, n'est-ce
pas ? Il vous faut trois choses pour assumer ces
responsabilités : une bonne santé, ce
qui signifie un corps en bon état, un bon
mental, ce qui signifie de bonnes intentions, et de
la compassion. Où puisez-vous ces choses ?
Où prenez-vous l'énergie pour mouvoir
votre corps afin d'aider les autres physiquement ?
Où prenez-vous l'énergie d'activer
votre mental pour répandre la compas sion
sur les autres ? Où puisez-vous cette
énergie qui vous permet d'agir ?
Jeff : Elle est puisée dans la
grâce.
Papaji : Si vous savez que vous puisez
l'énergie dans la grâce, pourquoi et
comment se fait-il que les choses deviennent votre
responsabilité ? Cette ampoule brille, elle
éclaire la pièce. La lampe peut-elle
dire : "C'est ma lumière ! Je brillerai si
je le veux, et si je ne le veux pas, ce sera
l'obscurité ?" La lumière ne vient
pas d'ici. Le réservoir, la source, est
ailleurs. Si cette lampe dit : "Je suis lumineuse,
c'est grâce à moi que vous pouvez
voir." Elle se trompe, elle est ignorante.
D'où vient le courant ? Où
l'électricité est-elle produite ?
J'ai demandé à un ingénieur
électricien qui travaillait ici : "Qu'est-ce
que l'électricité ? Je ne verrai rien
si vous arrachez le fil par lequel passe le
courant."
Il a répondu : "On l'ignore encore.
Toutefois ça marche. On produit
l'électricité, mais d'où
vient-elle en fin de compte ? On ne le sait
toujours pas. On ne connaît pas la source
première de cette force qui se transmet par
les fils."
Lorsque vous avez cinq ans vos parents s'occupent
de vous. Puis vous grandissez et vous vous sentez
capable de vous prendre en charge. Vous quittez vos
parents et travaillez pour vous-même. Vos
parents sont heureux lorsque vous commencez
à être indépendant. Lorsque
vous avez des problèmes, vous pouvez leur
demander de l'aide et des conseils, vous êtes
toujours le bienvenu. Pourquoi suis-je en train de
vous dire cela ? Il existe une énergie, une
grâce, qui vous nourrit et prend soin de
vous. À tout moment vous pouvez retourner
à elle pour subsister. Ce réservoir
est la source de toute énergie. C'est la
source de l'électricité ainsi que
celle de votre propre énergie. N'oubliez pas
que toute votre énergie, l'énergie au
travers de laquelle vous fonctionnez, vient de
l'atman, de la grâce. En vous bran chant sur
cette source vous aurez 200% d'énergie
disponible en plus de celle que vous avez
maintenant. Retournez dans votre pays et voyez par
vous-même.
Quand vous laisserez cette grâce conduire
votre vie, vous saurez : "Ceci vient de la
grâce. J'ai beaucoup de chance d'avoir vu
cette grâce à l'uvre. Par elle,
j'ai pu prendre soin de mes enfants, de ma femme,
de mes amis, de mes relations, de ma
société, de mon pays." Fonctionner
à partir de là est une vie nouvelle.
De nombreuses personnes m'ont écrit
après leur départ d'ici :
"D'où vient cette énergie ? Nous
étions occupés auparavant, mais nous
avons maintenant entrepris plus de travaux et
cependant nous ne nous fatiguons pas. Nous nous
sentons très jeunes à présent.
C'est comme si nous avions rajeuni de trente ans
depuis que nous sommes venus à Lucknow."
Jeff : J'aurais alors huit ans. Le bel
âge pour un éveil !
Papaji : Oui, oui. Autrement vous serez trop
vieux. Cela doit surve nir pendant l'enfance ou la
jeunesse. La vieillesse a trop de
responsabilités. Les enfants vous causeront
des soucis, ainsi que la société, les
maladies. Le corps lui-même est une maladie.
Il est plein de complications. Quand vous serez
vieux, votre mental s'appesantira sur vos
affections. Il ne sera pas capable de se
concentrer. Il y aura les maladies mentales, les
dérange ments physiques, les
problèmes relationnels, tant de choses. Vous
devez donc le faire à la fleur de
l'âge, dans votre jeunesse. L'enfance est le
meilleur moment, mais la jeunesse est aussi une
époque appropriée. Quelques personnes
âgées sont éga lement venues
ici. Pour elles, ce sera bien la prochaine
fois.
Jeff : Hier une femme est venue vous voir.
Elle était un peu plus âgée que
moi et paraissait avoir vécu une entrevue
merveilleuse avec vous. Après cette
rencontre je me suis senti très confiant
parce que j'ai pensé : "J'ai du temps devant
moi."
Papaji : Quel temps ? Pour quoi faire ? Ici
vous vous débarrassez du temps. Pourquoi
dépendre du temps ? Le temps est le
passé. En partant d'ici, vous jetez le temps
aux orties. Vous n'avez pas besoin de temps.
Voici une histoire qui s'est effectivement
passée à Lucknow. Un homme d'environ
50 ans vint de Los Angeles parce qu'il était
mécontent que son fils soit constamment ici.
Il était riche et souhaitait l'emmener
travailler avec lui dans les affaires. Il avait
préparé une longue liste de questions
dont il voulait débattre avec moi pour
découvrir pourquoi je lui avais pris son
fils. Il avait loué une suite à
l'hôtel Clarks et y avait dormi avec son fils
la nuit précédente. Lorsqu'il arriva
dans ma maison, son fils me le présenta. Il
s'assit alors devant moi et me dit : "Vous
êtes venu me voir la nuit dernière.
Vous vous êtes assis à
côté de mon lit à l'hôtel
Clarks et vous avez répondu à toutes
mes questions. À présent, je n'ai
rien à demander."
Il avait un bracelet montre qu'il posa devant moi
en disant : "Maintenant je n'ai plus besoin de
savoir l'heure."
Il resta ici vingt jours. Avez-vous
déjà vu un américain sans
montre ? Même pour dormir ils mettent une
montre sous leur oreiller et lorsqu'ils vont dans
leur salle de bains la montre est encore
présente. Ils sont si attentifs, si
ponctuels, même dans la salle de bains.
À son départ je lui dis : "Comment
ferez-vous pour savoir l'heure ? Si vous n'avez pas
de montre vous devrez la demander aux autres."
Il répondit : "Non, cela revient au
même. À présent, qu'il s'agisse
de se lever, de dormir, tout est pareil. J'ai
oublié le temps. Je n'en ai plus
besoin."
Je lui dis : "Non, prenez mon temps maintenant" et
je lui attachais la montre au poignet.
Lorsque vous possédez le temps, le mental et
toutes ces autres choses, vous devez en être
responsable. Mais lorsque vous connaissez la
beauté du non-mental et du non-temps, qui
prendra soin de vous ? Fiez-vous au pouvoir
suprême et il le fera très bien.
Jeff : Papaji, nous sommes pratiquement tous
des gens très aisés, en provenance de
pays libres. Vous rendre visite à Lucknow
est un privilège que nous pouvons tous nous
offrir. Pour de nombreuses personnes, toutefois, la
liberté signifie encore être
délivré de l'oppression politique, de
l'emprisonnement, de la torture. L'asservissement
extérieur est-il un obstacle à la
liberté intérieure et, si tel est le
cas, pensez-vous que l'activisme politique puisse
avoir une place dans le monde ?
Papaji : Les circonstances
extérieures ne sont pas un obstacle.
L'obstacle c'est l'ego. Les obstacles sont
créés par l'ego : "Je dois faire
ceci, je ne dois pas faire cela." Cette idée
que vous faites quelque chose est l'obstacle. Si
vous agissez sans le sentiment d'être le
sujet qui agit, il n'y aura pas d'obstacle. Le
pouvoir suprême travaille à travers
vous. Il vous guidera selon les circonstances.
Jeff : Je passe une partie de mon temps
à travailler pour les droits de l'homme.
Dans des pays comme la Birmanie ou le Tibet les
gens sont terriblement opprimés. Les
personnes qui ont pris le contrôle les
blessent ou les tuent. Vous dites que le corps
lui-même est une maladie et qu'il exerce
parfois dans la vieillesse une tyrannie telle qu'il
devient très difficile de s'éveiller.
Il existe des endroits où l'on pourrait
être tué pour la simple raison d'avoir
assisté à un satsang. Dans ces
endroits où des réunions telles que
celle-ci sont interdites, nous serions
fusillés par des agents du gouvernement si
nous tentions de nous réunir. De telles
circonstances extérieures ne peuvent
être qu'un obstacle et, de ce fait, il faut
bien qu'il y ait des gens pour agir contre les
oppresseurs. Vous l'avez vous-même fait dans
votre jeunesse, si votre biographie est correcte.
Que pensez-vous de telles actions ?
Papaji : Le monde va vers un
désastre. Nous nous dirigeons vers la
destruction de la race humaine. Les bombes
atomiques et les armes chimiques nous y
entraînent. Ce n'est pas le chemin à
suivre. Essayons plutôt de répandre la
compassion et l'amour envers tous les êtres
humains et tous les autres êtres. Essayons
cela. C'est ce que nous faisons ici, dans les
satsangs. Nous délivrons le message de paix
et d'amour. J'espère qu'il se
répandra. Tous ceux qui sont présents
ici sont des ambassa deurs : Ils apporteront ce
message à leur famille et aux habitants de
leur pays. Ce feu se répandra. Un jour vous
en verrez le résultat. Vous-même, vous
allez rentrer chez vous. Vous parlerez à
votre famille, à vos amis et ils
découvriront ce qui se passe. Vous
constaterez un changement considérable. J'en
suis certain. Ces temps arrivent maintenant.
Nous devons tirer les leçons des
destructions précédentes. Nous
n'avons toujours pas oublié Hiroshima au
Japon. Des gens souffrent encore là-bas.
Nous ne pouvons pas oublier.
Nous devons tirer les leçons et
répandre le message d'amour comme ce fut
fait du temps d'Ashoka quand la paix régnait
partout. En ce temps là, il n'y avait pas de
guerre. Il envoya ses propres enfants au Sri Lanka,
en Chine et dans les pays de l'Est. C'est ainsi que
se répandit ce message de paix qui fut
initié par un homme assis sous l'arbre de la
bodhi. La flamme de l'amour est très
puissante. Une fois allumée, elle
crée un incendie qui ne peut être
éteint, même par des armes
chimiques.
Simplement, méditez seul. Vous pouvez le
faire n'importe où, même dans votre
appartement. Vous verrez les résultats.
Restez tranquille, envoyez le message de paix
partout dans le monde : "Que la paix soit, que tous
les êtres vivent heureux et en paix." Cette
longueur d'onde doit marcher.
Jeff : Espérons-le.
Papaji : Non pas "espérons". Je ne
crois pas en l'espoir. L'espoir concerne le futur.
Faisons confiance au pouvoir suprême. Il
prendra fort bien ce monde en charge. Il peut y
amener un changement immédiat. Prions le
pouvoir suprême : "Je t'en prie, aide-nous
à être en paix avec tous les
êtres vivants. Je t'en prie, enseigne-nous."
Il est très facile d'enseigner aux autres,
de leur donner des conseils. En premier lieu
aidez-vous vous-même. Découvrez la
paix par vous-même. Ne vous souciez pas
d'aider les autres avant d'avoir vous-même
saisi ce qu'elle est.
Jeff : Que vous ont appris toutes ces
années d'enseignant ?
Papaji : Je ne suis pas un enseignant. Qui
vous a dit que j'étais un enseignant ?
L'enseignement d'un enseignant concerne toujours le
passé. Un enseignant est quelqu'un qui vous
dit de faire ceci et cela. Il vous dit que si vous
ne le faites pas, vous irez en enfer. Voilà
ce qu'est qu'un enseignant. Je ne suis ni un ensei
gnant, ni un prêcheur.
Jeff
: Je vais tourner ma question autrement :
Qu'avez-vous appris au fil des années, assis
à cette place dans les satsangs ?
Papaji : L'amour, l'amour, seulement
l'amour. Je les aime [gestes vers le
satsang].
Jeff : Pourquoi "eux" Papa, ne m'aimez-vous
pas également ?
Papaji : Je ne vous inclus pas parce que
vous êtes le Bien-aimé. Je les aime,
et vous, vous êtes mon Bien-aimé.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Parce que vous
êtes mon Bien-aimé, vous êtes
assis auprès de moi.
Jeff : Merci, Papa.
Papaji : Merci d'être venu ici. Je
vous remercie en mon nom et plus encore au nom de
tous mes enfants. Je suis très heureux de
vos questions. Nous en avons tous
bénéficié. La vibration de ce
satsang n'est pas confinée dans ce
bâtiment. Elle a déjà
été transmise au monde entier. Vous
verrez.
Jeff : Papa, vous avez une très
grande longueur d'onde. N'importe quelle antenne
peut recevoir ce signal.
Papaji : Pas d'antenne et pas de signal ! Je
n'ai besoin d'aucun signal. Pour signaler, il faut
être deux celui qui envoie et celui
qui reçoit.
Jeff : Bien sûr. Apprendrai-je jamais
?
[silence]
Papaji : [riant] À
présent, vous êtes en train de
répondre à ma question. Vous m'avez
posé tant de questions. Je ne vous en ai
posé qu'une seule et ceci en est la
réponse. Voici le signal sans signaler.
Magnifique. Qu'est-ce donc ? Vous pouvez au moins
me le dire maintenant que l'entretien est
terminé. Qu'est-ce donc ?
[silence]
Qu'est-ce que ceci ? Que se passe-t-il au-dedans ?
Quelle est cette joie ? Vous pouvez la sentir.
Toutes les cellules s'en réjouissent.
Voyez-vous à présent ? Elles
apprécient le nectar. [prenant la liste
de questions] Je vais emmener ces questions
avec moi.
Jeff : À ma surprise, Papaji, vous
avez répondu à toutes les questions.
Il m'avait semblé que certaines
étaient plutôt épineuses, mais
elles ont toutes eu exactement la même
réponse. [rires !]
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