La
première et la principale de toutes les
pensées qui surgissent dans le mental est la
pensée-"je" primitive. Ce n'est
qu'après la naissance, ou origine, de la
pensée-"je" que les autres pensées
innombrables voient le jour. Autrement dit, ce
n'est qu'après l'émergence du premier
pronom personnel "je" que les deuxième et
troisième pronoms personnels [tu, il,
etc.] se présentent au mental ; et ils
ne peuvent subsister sans lui.
Étant donné que nulle autre
pensée ne peut se présenter avant
l'avènement de la pensée-"je", et que
le mental n'est qu'une somme de pensées, ce
n'est que grâce à la question "Qui
suis-je ?" que le mental s'apaise et
disparaît. Qui plus est, la
pensée-"je" intégrale
implicite dans pareille interrogation , ayant
détruit toutes les autres pensées, se
trouve elle-même finalement détruite
ou consumée, ainsi que le bâton qui
sert à activer le feu du bûcher
funéraire se voit lui-même
dévoré par les flammes.
Quand, de toute façon, le mental ou
ego doit être abandonné,
pourquoi perdre du temps à l'analyser ?
Rechercher : "Qui suis-je, moi qui suis en
esclavage ?" et connaître ainsi sa vraie
nature est la seule Délivrance. Garder le
mental constamment tourné au-dedans et
demeurer ainsi au sein du Soi est la seule
recherche de Soi-même. De même qu'il
est futile d'examiner les déchets qu'on
balaie, lesquels finiront forcément à
la poubelle, il est tout aussi futile pour
qui cherche à connaître le Soi
de tenter d'énumérer les tattva qui
enveloppent le Soi et de les examiner, au lieu de
s'en défaire. En ce qui le concerne, le
chercheur devrait considérer le monde
phénoménal comme un simple
rêve.
Question : D'autres pensées
surgissent, avec plus de force, lorsqu'on tente de
méditer.
Ramana : Oui, toutes sortes de
pensées surgissent en méditation. Il
en est forcément ainsi, car tout ce qui
gît caché au fond de vous-même
ressort. Si ces choses ne remontent pas à la
surface, comment les détruire ?
Les pensées surgissent spontanément
pour disparaître en temps voulu et ainsi
renforcer le mental.
Question : Quand je me concentre, toutes
sortes de pensées jaillissent et me
perturbent. Plus je fais des efforts et plus elles
rappliquent en nombre. Que faire ?
Ramana : Oui, c'est effectivement ce qui se
passe. Tout ce qui est enfoui au-dedans essaie de
ressortir. Il n'existe qu'une solution :
arrêter net le mental à chaque fois
qu'il veut s'égarer et le fixer dans le
Soi.
Question : Bhagavan a souvent dit qu'il faut
rejeter les autres pensées quand on s'engage
dans la quête ; mais les pensées sont
innombrables. Si l'une est écartée,
une autre accourt aussitôt et on n'en voit
pas la fin.
Ramana : Je ne dis pas que vous devez
consacrer toute votre énergie à
rejeter les pensées. Si vous vous accrochez
à vous-même, à la
pensée-"je", et maintenez votre attention
sur cette pensée unique, les autres se
trouveront rejetées et disparaîtront
d'elles-mêmes.
Question : Quand je pense "Qui suis-je ?",
m'arrive la réponse suivante : Je ne suis
pas ce corps mortel, mais la conscience ou le Soi.
Et, alors, surgit aussitôt une autre
pensée. Pourquoi le Soi devient-il manifeste
? En d'autres termes : "Pourquoi Dieu a-t-il
créé le monde ?"
Ramana : En fait, la demande "Qui suis-je ?"
a pour but d'essayer de trouver la Source de l'ego
ou de la pensée-"je". Vous ne devez pas
occuper le mental avec d'autres pensées,
comme, par exemple : "Je ne suis pas le corps". La
recherche de la Source du "je" sert à se
débarrasser de toute autre pensée.
Vous ne devriez nourrir aucune des pensées
dont vous faites état, mais vous fixer sur
la recherche de la Source de la pensée-"je"
en vous demandant, quand surgit toute autre
pensée, à qui cette pensée se
présente ; et si la réponse est
"à moi", vous reprenez alors l'investigation
: "Quel est ce "je", et quelle est sa Source ?"
Question : Qui suis-je ? Comment trouver la
réponse ?
Ramana : Posez-vous la question. Le corps et
ses fonctions ne sont pas "je". Plus
profondément, le mental et ses fonctions ne
sont pas "je". L'étape suivante amène
à se demander : " D'où
s'élèvent ces pensées ? "
Qu'elles soient spontanées, superficielles
ou analytiques, les pensées opèrent
dans le mental. Alors, qui a conscience d'elles ?
L'existence des pensées, leur claire
perception et leur fonctionnement deviennent
évidents à l'individu. Cette analyse
vous amène à la conclusion que la
personnalité individuelle a pour fonction de
connaître l'existence des pensées et
leurs enchaînements. Cette
personnalité individuelle est l'ego, ou,
comme disent les gens, "je". L'intellect n'est que
l'enveloppe du "je", et non le "je" lui-même.
En poussant plus avant la recherche, se posent les
questions suivantes : Quel est ce "je" ?
D'où vient-il ? "Je" n'était pas
conscient dans le sommeil. À l'instant
même où il surgit, le sommeil se
change en rêve et en veille. Mais, pour le
moment, je ne m'occupe pas de l'état de
rêve. Qui suis-je maintenant, à
l'état de veille ? Si "je" a eu son origine
au sortir du sommeil, il était donc alors
recouvert d'ignorance. Un "je" aussi ignorant ne
peut être ce dont parlent les Ecritures ou ce
qu'affirment les sages : "je" suis au-delà
même du sommeil ; " je " suis
forcément ici et maintenant, ainsi que ce
que j'étais aussi tout le temps du sommeil
et du rêve, inchangé par les
qualités de ces états. "Je" dois donc
être le pur substrat sous-jacent à ces
trois états [veille, rêve,
sommeil], une fois transcendé
anandamayakosha.
Question : Nous sommes attirées par
la spiritualité depuis l'enfance. Nous avons
lu plusieurs livres qui traitent de philosophie et
le Vedanta nous intéresse. Nous avons donc
lu les Upanishad, le Yoga Vasishtha,
la Bhagavad Gita, etc. Nous essayons de
méditer, mais ne constatons aucun
progrès. Nous ne comprenons pas comment il
faut s'y prendre pour obtenir des résultats.
Pouvez-vous avoir l'obligeance de nous guider vers
la réalisation ?
Ramana : Comment méditez-vous ?
Question : Je commence par me demander " Qui
suis-je ? " et j'élimine le corps comme
n'étant pas "je", la respiration comme
n'étant pas "je", le mental comme
n'étant pas "je", mais je suis incapable
d'aller plus loin.
Ramana : Eh bien, tout ceci est normal dans
la mesure où votre démarche
relève du mental. Vous utilisez un
procédé purement mental. En fait,
tous les textes sacrés ne mentionnent cette
méthode que pour orienter le chercheur vers
la Vérité. Celle-ci ne peut
être indiquée tout de go ; c'est
pourquoi on utilise ce procédé
mental. Voyez-vous, celui qui élimine le "
pas-je " ne peut éliminer le "je". Pour
affirmer " Je ne suis pas ceci ", ou bien " Je suis
Cela ", le "je" est absolument indispensable. Ce
"je" n'est que l'ego ou la pensée-"je". Une
fois que s'est élevée cette
pensée-"je", les autres pensées
surgissent à leur tour. La
pensée-"je" est donc la pensée
racine. Si on arrache la racine, tout le reste est
arraché en même temps. Par
conséquent, cherchez la racine "je".
Demandez-vous : " Qui suis-je ? " ;
découvrez la Source du "je". Alors tous ces
problèmes disparaîtront et, seul,
demeurera le pur Soi.
Question : Mais comment procéder
?
Ramana : Le "je" est toujours là, que
ce soit dans le profond sommeil, dans le
rêve, où à l'état de
veille. Celui qui dort est le même que celui
qui parle à présent. Il y a toujours
le sentiment du "je". S'il n'en était pas
ainsi, il vous faudrait nier votre propre
existence. Mais vous ne le faites pas. Vous dites :
" Je suis. " Trouvez qui est.
Question : Je ne comprends toujours pas.
Vous dites que le "je" est maintenant le faux "je".
Que dois-je faire pour éliminer ce faux "je"
?
Ramana : Vous n'avez besoin
d'éliminer aucun "je". Comment " je "
peut-il s'éliminer lui-même ? Tout ce
qu'il vous faut faire, c'est rechercher son
origine, et vous y maintenir. Votre effort ne peut
aller au-delà. Et, alors, l'Au-delà
se chargera de lui-même. Dans cette
région, vous n'êtes pas en mesure
d'agir. Aucun effort ne peut L'atteindre.
Question : Si "je" suis toujours ici
et maintenant , pourquoi n'en ai-je pas le
sentiment ?
Ramana : Qui dit que vous n'éprouvez
pas cette impression ? Est-ce le "je" réel,
ou le faux "je" ? Posez-vous la question et vous
verrez que c'est le faux "je". Le faux "je"
constitue l'obstacle qu'il faut enlever de
façon à ce que le véritable
"je" cesse d'être caché. Le sentiment
" Je n'ai pas réalisé " est
l'obstacle à la réalisation. En fait,
il est déjà réalisé. Il
n'y a rien de plus à réaliser. Si tel
était le cas, la réalisation
représenterait quelque chose de nouveau,
inexistant à ce jour, mais devant advenir
dans le futur ; mais tout ce qui est né
mourra également. Si la réalisation
n'est pas éternelle, elle n'en vaut pas la
peine. Ce que nous recherchons n'est donc pas
quelque chose qui doit commencer à exister,
mais seulement ce qui est éternel et nous
est voilé par des obstacles. Nous n'avons
qu'à nous débarrasser des entraves.
Ce qui est éternel n'est pas reconnu comme
tel à cause de l'ignorance. L'ignorance est
l'obstacle. Débarrassez-vous-en et tout sera
parfait. Cette ignorance est identique à la
pensée-"je". Trouvez sa Source et tout
disparaîtra.
La pensée-"je" est tel un esprit qui, bien
que subtil, s'élève
simultanément avec le corps,
s'épanouit avec lui et disparaît en
même temps. La conscience du corps n'est pas
le bon "je". Renoncez-y. Vous pouvez y parvenir en
cherchant la Source du "je". Le corps ne dit pas :
" Je suis ". C'est vous qui dites : " Je suis le
corps ". Découvrez qui est ce "je".
Recherchez sa Source et il disparaîtra.
Question : Alors, on connaîtra la
félicité ?
Ramana : La félicité est
contemporaine de la conscience d'Être. Tous
les débats relatifs à l'Être
éternel concernent également la
Félicité éternelle. Votre
nature est Félicité. À
présent, l'ignorance dissimule la
Félicité, mais il vous suffit
d'enlever l'ignorance pour libérer la
Félicité.
Question : Ne faut-il pas trouver l'ultime
réalité du monde en tant qu'individu
et Dieu ?
Ramana : Voilà des conceptions du
"je". Elles ne prennent corps qu'après
l'avènement de la pensée-"je".
Pensiez-vous à des choses pareilles dans le
profond sommeil ? Pourtant, vous existiez en plein
sommeil, et le même " vous " s'exprime
maintenant. Si elles étaient réelles,
n'existeraient-elles pas aussi pendant votre
sommeil ? Elles sont tributaires de la
pensée-"je". À nouveau, le monde vous
dit-il : "Je suis le monde" ? Le corps affirme-t-il
: "Je suis le corps" ? C'est vous qui dites :
" C'est le monde ", " C'est le corps ", et ainsi de
suite. Ce ne sont donc là que vos
conceptions. La découverte de votre vraie
nature met fin à tous les doutes.
Question : Qu'advient-il du corps
après la réalisation ? Continue-t-il
à exister ou non ? Nous voyons des
êtres réalisés accomplir des
actions comme tout un chacun.
Ramana : Cette question est sans objet pour
le moment. Vous pourrez toujours vous la poser
après la réalisation, si vous en
éprouvez alors le besoin. Quant aux
êtres réalisés, laissez-les
donc tranquilles. Pourquoi vous tracasser à
leur sujet ? En fait, après la
réalisation, ni le corps ni rien d'autre
n'apparaîtra différent du Soi.
Question : Si nous sommes toujours
être-conscience-félicité,
pourquoi Dieu nous plonge-t-Il dans des
épreuves ? Pourquoi nous a-t-Il
créés ?
Ramana : Dieu vient-Il vous dire qu'Il vous
a plongée dans des épreuves ? C'est
vous qui le dites. Une fois de plus, c'est le faux
"je". S'il disparaît, il n'y aura plus
personne pour affirmer que Dieu a
créé ceci ou cela. Cela qui est ne
dit même pas : "Je suis." Car le moindre
doute se présente-t-il que "je ne sois pas"
? Ce n'est qu'au cas où on se prendrait pour
une vache ou un zébu qu'il faudrait se
rappeler qu'on n'est pas un animal, mais un homme ;
mais ça n'arrive jamais. Il en va de
même pour notre propre existence et notre
réalisation.
Quand le mental sonde sans cesse sa propre nature,
il apparaît qu'il n'y a rien de tel que le
mental. Telle est la voie directe pour tous.
Le mental n'est que pensées. De toutes les
pensées, la pensée-"je" est la
racine. Le mental n'est donc que la
pensée-"je". D'où cette
pensée-"je" s'élève-t-elle ?
Cherchez-le au-dedans ; alors, elle
disparaît. Ceci est la poursuite de la
sagesse. Là où le "je"
disparaît, apparaît aussitôt de
soi-même un "je-je". C'est l'Infini.
Si l'ego est, tout le reste est aussi. Si l'ego
n'est pas, rien d'autre n'est. L'ego est bien tout.
Par conséquent, rechercher ce qu'est l'ego
est la seule façon de renoncer à
tout.
L'état de non-émergence du "je" est
l'état d'être Cela. Si on ne recherche
pas cet état de non-émergence du
"je", et si on ne l'atteint pas, comment peut-on
accomplir sa propre extinction de laquelle le "je"
ne revit pas ? Sans pareil aboutissement, comment
est-il possible de s'établir dans son
état véritable, où l'on est
Cela ?
Ainsi qu'un homme plongerait afin de
récupérer un objet tombé dans
l'eau, on devrait plonger en soi, le mental
aiguisé tendu vers un seul objectif, en
contrôlant paroles et souffle, et trouver le
lieu d'origine du "je". La seule recherche
aboutissant à la réalisation de Soi
consiste à rechercher la Source du mot "je".
La méditation sur "je ne suis pas ceci ; je
suis cela" peut aider la recherche, mais ne peut
être la recherche proprement dite. Si l'on
recherche "Qui suis-je ?" dans le mental, le "je"
individuel s'effondre, confus, dès qu'on
atteint le Cur, et la Réalité
se manifeste aussitôt spontanément en
tant que "je-je". Bien qu'elle se
révèle en tant que "je", ce n'est pas
l'ego, mais l'Être parfait, le Soi
absolu.
Les notions de servitude et de délivrance
sont simples modifications du mental. Elles ne
possèdent pas de réalité
propre et ne peuvent donc fonctionner
d'elles-mêmes. Puisqu'elles sont
modifications de quelque chose d'autre, il doit y
avoir une entité [indépendante
d'elles] qui leur tient lieu de Source commune
et de soutien. Si donc on enquête sur cette
Source afin de savoir à qui s'appliquent
servitude ou délivrance, on s'apercevra
qu'elles me concernent, "moi", c'est-à-dire
soi-même. Si, alors, on tente
sincèrement de répondre à la
question "Qui suis-je ?", on verra qu'il n'y a rien
de tel que "je" ou "moi". Cela qui demeure quand on
s'aperçoit que le "je" n'existe pas, est
réalisé d'éclatante et
indubitable façon comme
générant sa propre lumière et
subsistant simplement de lui-même. Cette
saisissante réalisation, vécue comme
expérience directe et immédiate de la
suprême Vérité, n'a rien
d'exceptionnel. Elle vient très
naturellement à quiconque sans
changer quoi que ce soit à ce qu'il est
recherche au-dedans de soi-même sans
laisser le mental s'extérioriser un seul
instant ni gaspiller son temps en vaines paroles.
Il n'y a donc pas le moindre doute quant à
la conclusion parfaitement documentée que
ceux qui ont atteint cette réalisation, et
demeurent ainsi établis dans une
identité absolue avec le Soi, ne connaissent
ni servitude ni délivrance.
Le Soi est pure conscience. Pourtant, un homme
s'identifie au corps qui, dénué
d'intelligence et de sensibilité, n'affirme
pas lui-même : "Je suis le corps." C'est
quelqu'un d'autre qui le dit. Pas le Soi
illimité. Qui affirme une chose pareille ?
Un faux "je" s'élève entre la pure
conscience et le corps qui ne sait rien et ce "je",
s'imagine être limité au corps.
Recherchez-le et il s'évanouit tel un
fantôme. Le fantôme est l'ego, ou
mental, ou personnalité. Toutes les
Ecritures sont fondées sur
l'avènement de ce fantôme et ont pour
but de l'éliminer. L'état
présent est pure illusion. Sa dissolution
est le but et rien d'autre.
Question : Que faire pour réaliser le
Soi ?
Ramana : Le Soi de qui ? Trouvez-le.
Question : Le mien ; mais qui suis-je ?
Ramana : À vous de le trouver.
Question : Je ne sais pas.
Ramana : Vous n'avez qu'à
réfléchir à la question
suivante. Qui est celui qui dit : "Je ne sais pas"
? Qui est le "je" dans votre affirmation ?
Qu'est-ce qui n'est pas connu ?
Question : Quelqu'un ou quelque chose en
moi.
Ramana : Qui est ce quelqu'un ? À
l'intérieur de qui ?
Question : Peut-être une
force
Ramana : Découvrez de quoi il
s'agit.
Question : Pourquoi suis-je né ?
Ramana : Qui est né ? La
réponse est la même pour toutes vos
questions.
Question : Qui suis-je alors ?
Ramana : [souriant] Etes-vous venu
me faire passer un examen ? C'est vous qui devez
dire qui vous êtes.
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